Gerard Guix : « Hitler était un être humain comme les autres et c’est cela qui le rend effrayant »

Doppelgänger. Ce terme désigne un personnage des mythologies germanique et scandinave, le double, le jumeau maléfique, le sosie qui, à l’inverse de l’image de Narcisse, n’a ni ombre ni reflet dans le miroir ou dans l’eau. Il est la figure inquiétante, celle de l’envers du décor, de la dimension parallèle, en tous points identique à l’individu auquel il correspond par symétrie inversée, à vous, à moi, si ce n’est qu’il commet le Mal (ou le Bien si vous êtes vous-même un être maléfique). Popularisé par des auteurs romantiques allemands tels que les frères Grimm et E.T.A. Hoffmann, mais aussi, plus tard, par Poe, Stevenson, Maupassant et jusqu’à nos jours au cinéma (chez Kiyoshi Kurosawa, Jordan Peele) et dans les séries télévisées (Twin Peaks de David Lynch, Stranger Things…), le doppelgänger trouve une nouvelle incarnation dans le roman-monstre éponyme (plus de 700 pages) de l’écrivain catalan Gerard Guix sur un monstre pourtant bien humain : Adolf Hitler. Dans cet ouvrage mi-historique, mi-fantastique, publié aux Forges de Vulcain et magistralement traduit par Carole Fillière, fruit d’un impressionnant travail de documentation de près d’une dizaine d’années, notre auteur revient sur les derniers jours d’Hitler, terré dans son bunker de Berlin alors que les bombes soviétiques s’abattent sur les vestiges du IIIe Reich. Dans ce repaire souterrain où règne l’odeur de la mort, de la pourriture et de la décomposition, l’enveloppe corporelle du Führer est subitement possédée par un esprit noir et informe, celui de… Charlie Chaplin, son doppelgänger ! Cette possession entraînera des conséquences grotesques et pathétiques, parmi lesquelles la volonté délirante d’Hitler de tourner un film à sa gloire alors que tout autour de lui s’écroule. Le récit, construit autour de trois actes comme un opéra, conduit le lecteur d’avril 1945 jusqu’en 1978, sur les traces d’un ancien dignitaire nazi se livrant à des manipulations occultes et terrifiantes… Derrière l’humour, l’absurde et le surnaturel, cette reconstitution historique fantasmée des derniers jours du plus sombre des dictateurs est aussi un avertissement contre le retour sans cesse menaçant de l’extrême droite. À Rebours a l’honneur de publier en exclusivité et en avant-première, un mois avant la sortie de Döppelganger en librairie (le 29 août), un entretien avec Gerard Guix, l’homme derrière ce monument littéraire qui fera date.   

 

À Rebours : Vous avez passé une dizaine d’années à travailler sur ce livre et à vous documenter. Vous avez donc fait œuvre d’historien. Même s’il s’agit d’un roman, comment définiriez-vous cet ouvrage ? Un roman historique ? Le « doppelgänger » d’un livre d’histoire, son jumeau fictif ?

Gerard Guix : Il y avait effectivement énormément de sources à consulter. J’y ai consacré de nombreuses années car je voulais être très rigoureux dans la contextualisation, le déroulé et l’explication de la véritable histoire. Mais à un moment donné, il devenait primordial que la fiction prenne le dessus sur la vérité historique. L’aspect documentaire devait donc s’arrêter là pour laisser la place à la fiction et à l’imagination, car il s’agit d’un roman et l’intrigue doit être prioritaire par rapport à la partie purement historique. Il a été particulièrement complexe de concilier fiction et réalité de telle sorte que l’ensemble de l’ouvrage soit vraisemblable, tout en restant historique et rigoureux. D’autant plus que cette période de l’Histoire est particulièrement bien documentée ; chaque semaine voit la publication de nouveaux essais et livres historiques sur la Seconde Guerre mondiale, le nazisme… et au bout d’un moment, je me suis dit : « ça suffit, j’en ai lu suffisamment ». Pendant ces dix années, j’ai consulté toutes les biographies des personnages de cette période que j’ai pu trouver et je les ai interprétées et utilisées à mon avantage. On remarque d’ailleurs que de très nombreux survivants et acteurs de cette période ont écrit leurs mémoires et, parmi eux, des dignitaires du régime et des anonymes, depuis Albert Speer jusqu’au plus humble employé. Et à ce titre, on ne compte plus les livres intitulés « J’étais le coiffeur d’Hitler », « J’étais la secrétaire d’Hitler », « J’étais le chauffeur d’Hitler », « J’étais l’ami de jeunesse qui voyait Hitler de temps en temps », « J’étais celui qui prenait son petit-déjeuner avec Hitler », etc. De tels livres sont innombrables, la plupart sont opportunistes ou peu rigoureux, mais j’ai malgré tout essayé de tout lire pour disposer d’une vue d’ensemble. 

Comment vous est venue l’idée d’écrire une fiction en rapprochant Hitler et Chaplin et d’étudier leurs points communs ? Il est vrai qu’ils peuvent être troublants (leur date de naissance très proche, leur apparence physique avec la moustache…).

Gerard Guix, portrait réalisé le 25 juin 2025 à Paris © Philippe Matsas

L’idée m’est venue en 2008, quand j’ai remarqué, en lisant le journal, la similitude des dates de naissance des deux hommes[1]. Je me suis dit : « Tiens, c’est intéressant. Il y a quelque chose là que je peux creuser. » Je connaissais bien sûr Le Dictateur, le film de Chaplin dans lequel il imite et incarne Hitler, mais là, je me suis rendu compte qu’ils avaient le même âge, c’était une coïncidence incroyable. C’était l’élément déclencheur qui m’a poussé à exploiter un filon que, me semble-t-il, personne n’avait encore exploité dans la littérature. La première étape a donc consisté à me procurer d’une part l’autobiographie de Chaplin et d’autre part la biographie de référence d’Hitler écrite par l’historien Ian Kershaw. J’ai remarqué qu’il y avait bien plus de points communs et de parallélismes que la simple date de naissance et à ce moment-là, je me suis vraiment dit qu’il y avait quelque chose à tirer de ces éléments, qu’il était possible, éventuellement, de construire une fiction à partir de cela. J’ai donc commencé à entreprendre des recherches plus poussées, sans trop savoir dans un premier temps où cela me mènerait. Il y avait quelque chose à explorer, mais je ne savais pas encore quoi ; puis, au fur et à mesure que je lisais et que j’écrivais, une histoire a commencé à s’esquisser qui a trouvé son aboutissement quand j’ai découvert le vol du cadavre de Chaplin en 1978 par deux malfaiteurs qui ont ensuite formulé une demande de rançon. Je me suis alors dit que c’était une péripétie cruciale pour mon roman et la spéculation sur l’identité et les motivations de ces deux hommes a constitué un élément narratif. J’ai imaginé une explication et c’est à partir de cet élément que tout le mécanisme du doppelgänger est entré en scène. Je ne connaissais même pas ce mot, il est apparu au fil d’une de mes lectures sur le sujet. Ce doppelgänger était le maillon manquant dans mon intrigue et tout s’est finalement mis en place naturellement. 

Pensez-vous qu’ils se sont servis, ou nourris, l’un de l’autre de leur vivant ? Jusqu’à s’influencer et déteindre l’un sur l’autre ? En effet, il y a du ridicule et du théâtral dans la grandiloquence du monstre Hitler. Mais il y a aussi une volonté d’engagement politique et de sérieux chez le clown Charlot. Monstre et clown seraient donc deux facettes opposées d’une même figure ?

Tout à fait. De fait, et pour l’anecdote, lorsqu’Hitler a commencé à se faire connaître, il a ressenti le besoin de s’identifier à une figure populaire pour toucher le public. En remarquant la moustache de Chaplin, il s’est dit qu’il s’en ferait une similaire. Quand il a vu cela, Chaplin, en plus de modifier l’aspect de sa moustache pour qu’elle ressemble moins à celle d’Hitler, a décidé de faire un film sur lui pour le ridiculiser et se venger de ce « vol ». Ils se sont alors tiré dans les pattes l’un l’autre. Mais en dehors de cet attribut physique, d’autres points communs les rapprochaient, par exemple les aspirations politiques de Chaplin et les prétentions artistiques d’Hitler. L’un se voyait exercer des responsabilités politiques et l’autre, ancien peintre raté, ambitionnait de transformer Berlin selon sa propre vision artistique (c’est le projet Germania qu’il a développé avec l’architecte Albert Speer). Ils eurent aussi des enfances identiques, avec un père alcoolique dans les deux cas, une grande proximité envers une mère malade ; les deux ont rencontré le succès dans un pays étranger qui les a ensuite rejetés…  Cela les a rendus assez similaires, surtout à partir du moment où ils ont triomphé. On peut penser à d’autres parallèles, notamment la coupe de cheveux. Je me souviens, après avoir entamé mes recherches en 2008, être tombé sur une publicité des années trente, d’après ce que je sais, et récupérée sur Internet par le chapelier allemand Hut Weber. Elle s’intitulait « Hitler vs Chaplin » et présentait les silhouettes, côte à côte, de Chaplin et Hitler en ne mettant en évidence que leurs caractéristiques principales, à savoir la raie sur le côté et la moustache pour Hitler et, pour Chaplin, la même moustache avec un chapeau incliné sur le même côté. Sous la tête de Chaplin on pouvait lire : « It’s the hat ! ». Seul le chapeau pouvait donc faire la différence. Avec ce schéma, la similarité de style entre les deux hommes était mise en évidence. Je ne suis donc ni le premier ni le seul à l’avoir remarquée.

Dans votre livre, à la suite d’une erreur dans le thème astral offert à Hitler pour son (dernier) anniversaire, vous imaginez que ce dernier est possédé par le spectre de Chaplin et ressent, alors que le Reich s’effondre et qu’il est bloqué dans son bunker, un délire le poussant à se faire réalisateur de cinéma. Le résultat de cette nouvelle lubie sera bien sûr grotesque. Par sa mise en scène perpétuelle de soi et par sa théâtralité, Hitler n’est-il pas déjà un personnage de cinéma, qui tient autant du méchant du film que du personnage de cartoon ? Dans le sens où il est déjà une parodie, celle de Chaplin ?

À gauche le Dictateur de Chaplin (1940) et à droite les ruines de la Chancellerie du Reich (mai 1945)

Cela est tout à fait vrai pour Hitler mais j’étendrais cela à l’ensemble des dictateurs. Tous ces dirigeants, de Hitler à Mussolini en passant par Franco, Staline, etc. jouent, dans un certain sens, un rôle comme des acteurs qui incarnent des personnages de cinéma, et ils finissent par devenir des caricatures d’eux-mêmes, presque comiques malgré eux. On voit cela aussi aujourd’hui : Trump devient une caricature de lui-même, le personnage est en soi déjà grotesque, de même que Poutine ou tout dirigeant un peu excentrique du même acabit. Avec mon livre, je voulais parvenir à restituer non une parodie mais une parodie de la parodie, où l’on ne distingue plus la personne réelle du personnage, où l’on ne sait plus si c’est Hitler qui se joue de lui-même, ou s’il est authentique. S’agit-il d’un jeu ? De la réalité ? Ce genre de personnages offrent tout un éventail de possibilités, car ils sont intrinsèquement théâtraux, parodiques et finissent par devenir eux-mêmes une blague. Mais le plus effrayant est que, derrière cette image pathétique et comique, se dissimulent des gens très dangereux. Nous ne devons pas nous laisser tromper par les apparences.   

Le doppelgänger est une figure folklorique germanique reprise chez de nombreux auteurs allemands, notamment de la période romantique (Grimm, Hoffmann, etc.). On peut penser aussi au Horla de Maupassant. Cette littérature vous a-t-elle servi d’inspiration pour élaborer votre vision effrayante du spectre ?

Bien sûr. Quand j’ai décidé de creuser ce concept du double, je me suis mis à explorer toutes les références littéraires sur ce sujet (chez José Saramago, Dostoïevski, Thomas Mann…). Il y en a pléthore et j’ai trouvé cela passionnant de dénicher tous les doubles qu’on peut trouver dans la littérature et de les placer dans le roman sous forme de références ou de clins d’œil. Le döpppelganger du livre est évidemment une construction de mon imagination, mais il se fonde sur une conception qui apparaît de manière récurrente dans l’histoire de la littérature. Dans l’imaginaire collectif, le doppelgänger est un jumeau maléfique et chacun en possède un quelque part dans le monde. Et très subjectivement, nous considérons par la force des choses que nous sommes le bon jumeau et que notre double est le méchant. Pour Hitler, son double maléfique est Chaplin, quelqu’un qui n’était pourtant pas maléfique comme lui dans la vraie vie. Donc on voit bien que ces concepts de bien et de mal sont très relatifs et dépendent du point de vue ou du regard de la personne. Dans le roman, l’intérêt consistait à sous-entendre que le méchant pouvait bien être Chaplin, puisqu’on adopte le point de vue d’Hitler, et que ce dernier pouvait être le gentil. C’est là que réside tout l’intérêt de ce jeu.

Les dernières heures d’Hitler et sa décrépitude ont fait l’objet de nombreuses fictions, littéraires mais aussi cinématographiques et vous les énumérez. Qu’est-ce qui rend à votre avis la longue agonie du IIIe Reich si romanesque ou, en tout cas, si propice à la fiction ? Son caractère mystérieux ? Tragique ? Pathétique ? Tout cela à la fois ?

Speer: Hitler's Architect | History Today
Albert Speer et Adolf Hitler

Je dirais tout cela à la fois en effet. Je pense que la décadence de ce qui a été grand, voire très grand, comme un empire, est quelque chose de très romantique, et par extension de littéraire et cinématographique. L’effondrement offre de nombreuses possibilités de représentation artistique. Ce moment où l’on se rend compte que les dieux eux-mêmes peuvent connaître un crépuscule est passionnant ; eux aussi finiront par disparaître. C’est très wagnérien justement, la destruction et la disparition du bien. Et évidemment Hitler, par ce qu’il a représenté, par tout le pouvoir qu’il a concentré entre ses mains (et je ne sache pas que cette concentration de pouvoirs entre les mains d’un seul homme ait jamais été égalée dans l’Histoire), par la destruction qu’il a provoquée, en est le summum. Il est intéressant de voir que cet homme, entouré par tant de gens, aurait pu être assassiné mille fois mais personne n’a jamais osé sauter le pas. Il y avait cette aura monstrueuse autour de lui. Et c’était pourtant un homme, seul, humain. On se souvient de la polémique occasionnée par la sortie au cinéma du film la Chute avec Bruno Ganz : on a accusé ce film d’humaniser Hitler, de le montrer dans sa fragilité. Pourtant, le film ne l’humanisait pas spécialement, il montrait simplement l’homme, l’être humain qu’il était. Ce n’était pas une créature sortie des cavernes. C’est cette logique que je reprends dans Doppelgänger : je mets en évidence le fait que Hitler était un être humain comme les autres et c’est surtout cela qui fait peur, savoir qu’il est comme nous, qu’un être si petit, si fragile ait pu détenir tout ce pouvoir. S’il s’agissait d’un monstre à plusieurs têtes, d’une sorte d’Hydre de Lerne, ce serait certes effrayant mais cela aurait aussi constitué une excuse bien pratique : « s’il a agi ainsi, c’est parce que c’était un monstre, donc c’est normal, tout s’explique. Un homme n’aurait jamais pu faire cela. Et un monstre a des pouvoirs surnaturels, nous ne pouvons pas le combattre, il peut faire ce qu’il veut, c’est pour cela qu’il a pu commettre toutes ces atrocités. » Mais dès lors qu’il s’agit d’un être humain, entre en jeu ce qui s’appelle la responsabilité envers autrui. Pourquoi Hitler est-il là, à ce moment-là ? Comment a-t-il pu provoquer ces atrocités ? Comment a-t-il pu obtenir tant de pouvoir ? C’est ici que la réflexion prend tout son intérêt. Et à côté de ce roi tout-puissant, se pose aussi la question de cette grande folie collective des Allemands qui ont voulu bâtir un nouveau monde, un nouvel empire, une nouvelle capitale du monde, Germania. Et pour terminer, ce Reich qui était parti pour durer mille ans et qui s’est effondré au bout de douze est un excellent sujet littéraire et cinématographique car c’est le récit d’un effondrement subit, plus rapide que prévu.

L’écrivain allemand Timur Vernes, dans son livre Il est de retour, a déjà traité le sujet du nazisme et d’Hitler par la satire. On sait depuis Chaplin qu’on peut rire de tout, spécialement du nazisme. Vous êtes-vous inspiré de ce livre et pensez-vous que le rire peut être une forme efficace de lutte contre le totalitarisme ?  Et un moyen, comme le pense Chaplin, de préserver la raison ?

Where the Hell Do You Think You Are? – The New Inquiry
Affiche du Dictateur de Charles Chaplin (1940)

Absolument et il y en a de nombreux exemples. Vous en avez cité quelques-uns, mais je pourrais aussi parler de Jeux dangereux (To Be or Not to Be) d’Ernst Lubitsch ou d’Inglourious Basterds de Tarantino. La folie, l’humour, le rire, la satire vous permettent de prendre du recul sur ces terribles événements et Chaplin faisait cela très bien. Par ce recul, vous êtes en mesure d’évaluer la situation, de voir ce qu’il se passe réellement. En effet, si vous êtes impliqué sentimentalement ou émotionnellement, il vous est très difficile d’analyser les choses avec l’objectivité nécessaire. L’humour nous permet tout d’abord de nous échapper, de nous sauver de l’horreur, autrement la vie serait parfois trop insupportable. Mais la satire pour la satire, le rire pour le rire ou la simple blague absurde ne vont pas bien loin. Il est nécessaire de remettre en question celui qui commet l’acte répréhensible en le confrontant à sa propre image. Il est vrai que les dictateurs ne connaissent pas le sens de l’humour, ce que dit très bien Emil Ludwig dans son fantastique essai, Trois Portraits : Hitler, Mussolini et Staline. C’est quelque chose d’inédit pour eux, et c’est justement là que la satire constitue une arme très efficace pour leur rendre la pareille, pour dénoncer, pour mettre en évidence leurs travers et leurs faiblesses. En cela, Chaplin était très doué. Même si les situations les plus terribles, tournées en dérision, restent dramatiques, le filtre est différent, il permet de les analyser, et en cela, c’est vital et salvateur.

Si le roman est satirique, la tragédie et l’horreur occupent évidemment une place non négligeable, comme vous venez de le mentionner. Peut-on dire que l’un des principaux défis d’une telle entreprise était de savoir trouver un certain équilibre entre ces différents registres ? Ainsi, les notes de bas de page, écrites par un personnage du récit dont on ne dévoilera pas l’identité, ont recours à l’humour potache, à l’autodérision, et s’adressent même au lecteur par un procédé de métafiction. Elles constituent le pendant comique de l’horreur décrite dans le récit.

Quand je réfléchissais à la structure que le roman adopterait, j’ai pensé à la possibilité de le rendre esthétiquement similaire aux livres d’histoire, qui comportent de nombreuses notes de bas de page. Mais dans ce cas, les notes sont à titre purement informatif et en règle générale, la plupart des gens ne les lisent pas. J’ai repris quelque peu le même procédé que David Foster Wallace et ses innombrables notes de bas de page qu’il a beaucoup utilisées, notamment dans l’Infinie Comédie. C’était un jeu très important pour moi, mais il fallait néanmoins que ces notes contiennent vraiment quelque chose de plus profond que de simples informations ou précisions. Par le biais de ces notes, je me suis mis à façonner une seconde histoire. Vous pouvez bien sûr les sauter mais dans ce cas, vous perdriez la moitié des informations. Le narrateur du roman s’exprime lui-même dans ces notes, il raconte une histoire avec humour et dérision, un humour dirigé contre quelqu’un de bien précis. Il y en a d’ailleurs beaucoup plus dans les notes que dans le récit lui-même. Ces deux niveaux de lecture sont tout à fait volontaires. Je fais confiance à mon intrigue mais je pense qu’inclure l’humour dans les notes permet de prendre du recul, de rire d’une situation ou d’un personnage, de faire un commentaire cynique, de marquer une coupure puis de revenir dans la continuité de l’histoire. Le danger réside dans le fait, au début du roman, que le lecteur peut se sentir submergé par l’abondance d’informations, mais une fois qu’il entre dans le jeu et qu’il saisit le côté amusant et décalé d’une note, il en vient presque à attendre la suivante pour voir où elle peut bien le mener.

The Great Dictator (1940) — Why All This Music?
Le Dictateur de Charles Chaplin (1940)

Le récit est construit autour de trois actes et d’un finale, comme un opéra, cher au cœur d’Hitler qui appréciait Wagner. D’ailleurs, la musique, qu’elle soit classique ou contemporaine quand le récit fait un saut dans le temps, est un élément qui revient souvent, comme un leitmotiv. Pourquoi cette insistance sur l’aspect musical du récit ?

En général, j’aime beaucoup, dans tous mes romans, faire référence à la musique, au cinéma, à d’autres livres. J’estime qu’il est très important de ne pas rester cantonné à son histoire, mais de l’ouvrir à d’autres intrigues qui lui ressemblent et peuvent l’enrichir. Dans le cas de Doppelgänger, mon intention était de rédiger un roman qui traduirait un peu une vision globale qu’on porte sur les nazis, qui engloberait tout, dans un réflexe totalitaire. C’est pourquoi j’ai eu à cœur d’évoquer la musique contemporaine. Ainsi, le roman commence par une chanson des Pet Shop Boys (The Dictator Decides) et se termine par une autre d’Antony & the Johnsons. Mais il y a également beaucoup de références, dans la cinquième partie qui se déroule en 1977, à la nazisploitation, où les accessoires et tout l’attirail nazis deviennent des objets pop. Il était donc important pour moi de mentionner tout cela, des débuts jusqu’à l’époque actuelle. Dans la dernière note par exemple, dans laquelle on découvre à qui le narrateur s’adresse, on lit une référence aux livres de Roberto Bolaño sur les nazis. Il était intéressant pour moi d’englober tout cela. Et plus particulièrement la musique, qui joue un rôle très important dans ma vie ; il était évident que je devais la refléter. J’avais l’intention dès le départ de structurer ce roman en trois actes et cinq parties, comme un opéra wagnérien. Non seulement parce qu’Hitler appréciait Wagner, mais Chaplin aussi ! Encore un point commun ! De plus, cela connote aussi le théâtre. Le roman est très théâtral, même s’il est dense et, d’une certaine manière, très littéraire, car l’action se déroule quasi intégralement dans un seul espace clos (le bunker).

Il n’y a pas un personnage principal mais plusieurs protagonistes, qui jouent chacun un rôle comme au théâtre : les dignitaires nazis (chacun personnifiant un certain caractère : la traîtrise, l’excentricité, la ruse…) et les quatre jeunes assistants d’Hitler (le télégraphiste, le majordome, le chauffeur, le garde du corps), représentant le peuple qui s’est laissé séduire par le nazisme. Doit-on voir justement ces personnages comme des archétypes ? Des symboles ?

Oui, et une autre difficulté du roman réside dans la multiplicité des personnages. En effet, à la lecture, on se rend compte d’une distribution très théâtrale, où tous les personnages ont leur place attitrée. Selon moi, il était primordial de montrer qu’il n’y a pas vraiment de protagoniste, même si Hitler peut sembler l’être à première vue. Mais il n’est finalement qu’un intermédiaire, il disparaît au milieu du récit. Cela peut faire penser au Psychose d’Hitchcock, où la protagoniste meurt et on se demande : « Que s’est-il passé ? Comment l’intrigue peut-elle se dérouler sans elle ? ». Dans le livre, on se pose de même la question : « Et maintenant, que va-t-il bien se passer ? ». Chaque partie, l’une après l’autre, met en avant des personnages qui apparaissaient secondaires dans la partie précédente, c’est-à-dire que leur importance fluctue en intensité. D’un côté, j’ai décrit les dirigeants nazis sous forme de stéréotypes : chacun a son fonctionnement et sa motivation clairs et bien définis. Ils deviennent des entités parodiques évoluant dans le climat général d’excentricité et de folie qui règne dans le bunker. Mais d’un autre côté, les personnages les plus intéressants pour moi (ou ceux qui ont le potentiel dramatique le plus puissant) sont les quatre jeunes qui accompagnent Hitler jusqu’à la fin, quand tout s’effondre. Alors que les derniers fidèles nazis s’échappent pour sauver leur peau, eux restent pour brûler le cadavre d’Hitler. Cela m’a semblé très puissant, c’est pourquoi le troisième acte de l’ouvrage leur est consacré. Il me semblait important de savoir qui ils sont, d’où ils viennent, comment ils en sont arrivés là et dans quelles circonstances ils meurent. Je dresse en quelque sorte leur biographie. Cela m’a semblé crucial car ce sont des personnages qui, je crois, définissent le peuple allemand de l’époque. La question que tout le monde se pose, c’est : comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tout le monde a-t-il accepté cela ? Pourquoi avoir aidé et soutenu Hitler depuis le début ? Ces quatre garçons sont un élément de réponse : ils n’avaient pas d’avenir, rien. Hitler était comme un père pour eux. Et c’est à cause de cela que tout a commencé, car ils étaient des milliers et des milliers comme eux. Voilà le secret et en même temps, c’est aussi une information qui permettrait de faire en sorte que cette situation ne se reproduise plus : si les jeunes ont un avenir, un nouvel Hitler n’adviendra pas. C’est la raison pour laquelle ces quatre personnages sont le vrai pilier du roman.

Rochus Misch
Rochus Misch (1917-2013), garde du corps d’Hitler

En plus de l’ouïe, votre roman convoque un autre sens qui est l’odorat. Le roman restitue ainsi la puanteur omniprésente dans le bunker du Führer (celle de l’air vicié car peu ventilé, des odeurs corporelles, etc.) ; puis l’odeur de la mort au moment de la fuite des nazis devant l’armée russe ; enfin, l’odeur du spectre d’Hitler, dans la dernière partie : celle de la putréfaction, de la décomposition. On associe souvent le terme « nauséabond » ou « rance » pour évoquer les idées d’extrême droite. Aviez-vous cette référence en tête, peut-être pour rappeler la puanteur d’un régime que ce dernier n’arrive pas à dissimuler ?

Oui, tout à fait. En commençant à écrire, j’ai réalisé que l’odeur, dans un espace clos comme le bunker, devait être un élément omniprésent. Cela devait être terrible à vivre, sachant que les toilettes étaient bouchées. De fait, ces gens vivaient dans un endroit où l’odeur de la pourriture, des excréments et de la nourriture faisait partie du quotidien, sachant que ce sont des odeurs difficiles à dissiper et à oublier. En effet, quatre-vingts ans plus tard, cette puanteur persiste dans notre société et imprègne différents partis politiques traditionnellement associés à l’extrême droite : l’odeur de ce qui est rance, du rétrograde, du conservateur, dont on n’arrive pas à se débarrasser. Dans le livre, cette odeur imprègne peu à peu le bunker, et le roman, et devient de plus en plus désagréable. Même si l’on aère les pièces et si l’on ouvre les fenêtres, elle persiste, comme l’esprit d’Hitler, qui est toujours présent aujourd’hui. En réalité, c’est son souvenir et son héritage qui propagent cette odeur, telle une menace sous-jacente, persistante, récurrente.

Le lecteur se pose souvent la question du degré d’authenticité et de fiction dans votre ouvrage. Si vous vous accordez des licences poétiques, il y a d’autres éléments dont on ne sait pas s’ils sont authentiques (comme le recyclage des cadeaux à Hitler, que les invités piochent dans les réserves des années précédentes pour les lui offrir de nouveau). Votre livre joue constamment sur ce brouillage.

A new view of a photograph that appeared, heavily cropped, in LIFE, picturing Hitler's bunker, partially burned by retreating German troops and stripped of valuables by invading Russians.
L’intérieur du Führerbunker, après l’entrée des Soviétiques (mai 1945) William Vandivert/ Life Pictures/Shutterstock

Je pense qu’en tant que lecteur, il faut se laisser emporter par l’histoire et ne pas analyser si tel élément est authentique et tel autre inventé. Ce que vous estimez être faux est sûrement vrai, et vice versa. En l’occurrence, l’histoire des cadeaux qu’on a offerts à l’anniversaire d’Hitler en recyclant les réserves des années précédentes est bien authentique. Évidemment, je l’ai raconté d’une manière qui ressemble à une scène d’un film des frères Marx en imaginant également les différentes motivations des personnages, mais le fond de l’histoire est vrai et on le sait car c’est très bien documenté. Le jeu, dans le roman, consistait à réinventer les raisons motivant telle ou telle action. Autrement dit, si tel dignitaire nazi s’est rendu dans le bunker en avril 1945, je conserve cet événement tel quel dans le roman ; si tel personnage meurt dans les derniers jours de la guerre, il meurt aussi dans mon roman ; mais je m’autorise à modifier les raisons qui le poussent à se rendre dans le bunker ou les circonstances dans lesquelles il en vient à perdre la vie. L’important étant que les actions et le résultat soient identiques alors que seules les motivations changent. Pour cette raison, une documentation aussi exhaustive que possible était nécessaire afin que je puisse la manipuler pour les besoins de ma fiction.

Vous reprenez justement les codes et obsessions du nazisme (sur l’occultisme, la réincarnation, la transmigration, l’ubiquité, l’astrologie, etc.). Dans quelle mesure, à votre avis, ces croyances mystiques, surnaturelles, ont-elles joué un rôle, non seulement dans l’imaginaire nazi, mais aussi dans la façon dont les nazis ont exercé le pouvoir ?

Bien sûr, je pense que cette aura mystique autour d’Hitler a joué un rôle très important. Un dictateur très terre-à-terre aura toujours du mal à croire que tout le monde le craint. En revanche, s’il est nimbé de mystère, par définition incontrôlable et insaisissable, le doute s’installe. Et c’est à ce moment-là que les gens peuvent éprouver de la peur. C’est ce qui les empêchera, peut-être, de s’en prendre à lui, car il y a quelque chose qui relève presque de la magie. Les attentats dont il a été la cible (et je reprends cet élément dans mon livre) ont tous échoué. Il a joué de cela, comme s’il était protégé par une sorte de barrière magique. Il faut dire qu’il était passionné d’astrologie, de magie noire et d’occultisme. Tout cela a contribué aussi à façonner cette sorte d’aura. Dans le roman, je montre une bataille entre les forces obscures, les unes dirigées par Churchill et les autres par Hitler ; c’est le moteur du roman, construit autour de l’occultisme et de la façon dont il a été exploité dans la conduite de cette guerre. C’était une autre forme de propagande, parallèle à celle de Goebbels. Qu’ils y croient ou non, ils lui ont donné une nouvelle dimension. J’ai été passionné par cette façon dont les deux camps ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour prendre l’avantage.

Pensez-vous que l’irrationnel joue un rôle prépondérant dans la montée de l’extrême droite ? À l’image de la dévotion irrationnelle, voire de l’amour, pour Hitler qu’éprouvent ses quatre assistants.

Je pense surtout que le pouvoir de l’extrême droite réside dans sa capacité à très bien tirer parti des moments de crise, quelle que soit la société dans laquelle elle apparaît et évolue. Elle est toujours là, à l’affût, et quand elle aperçoit une faille, elle s’y engouffre. Elle a aussi un autre pouvoir : celui de savoir se rassembler. Toutes les extrêmes droites finissent par former un noyau et il devient plus facile, pour ce noyau, de pénétrer une brèche comme un cheval de Troie. Son grand atout, c’est l’opportunisme.

An SS officer's cap, with the infamous death's-head skull emblem barely visible.
Dans le Führerbunker (mai 1945) William Vandivert/ Life Pictures/Shutterstock

Mais l’extrême droite joue avec la peur, qui est irrationnelle par définition.

Bien sûr, elle joue avec la peur de ce qui est invisible, ou bien elle s’en prend aux plus faibles qu’elle présente comme une menace et contre laquelle elle s’érige en seul rempart. On retrouve là encore la question de l’opportunisme : on désigne une cible facile comme responsable de tous les maux, à l’image des Juifs à une certaine époque, on fabrique une peur à laquelle les gens s’accrochent et on se pose en sauveur. Mais ce ne sont que des discours creux, car cette peur, sur laquelle ils se fondent, est un fantasme.

N’est-il pas ironique que, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette dernière lance l’opération « doppelgänger » où il s’agit de créer des faux doubles d’organes de presse occidentaux qui diffusent le point de vue de la Russie à des fins de propagande, alors même que la Russie accuse l’Ukraine d’être aux mains des néonazis ? Poutine serait donc l’héritier de Goebbels ?

Il est évident que quiconque utilise la propagande et la désinformation à un tel niveau est immédiatement qualifié d’héritier de Goebbels. Aujourd’hui, grâce à Internet, il est beaucoup plus facile de bien s’informer par de nombreux canaux. Mais c’est également une arme à double tranchant, car les moyens de désinformation ont décuplé, ce qui induit encore plus de gens en erreur. En effet, il est toujours plus facile de mentir, de diffuser de fausses informations, de répandre des rumeurs et de créer des doppelgängers de l’information. C’est une situation très dangereuse. Citons l’intelligence artificielle, qui inquiète fortement par les fausses vidéos qui sont générées et qui font dire, par exemple, à des dirigeants politiques tout et n’importe quoi. Il devient de plus en plus difficile de démentir ces fausses informations et de rétablir la vérité. Nous entrons dans une période très complexe et certaines personnes savent très bien en tirer parti. Je regardais récemment sur Twitter une vidéo diffusée depuis un compte espagnol qui montrait un homme fumant sur le pupitre d’une église en criant ; selon les informations en bas de page, il s’agissait d’un Arabe ayant fait irruption dans une église en France pour insulter les fidèles et le curé. Mais en regardant bien les images, on distinguait une église qui semblait en restauration, déserte, sans fidèles ni curé. Et tous les commentaires sous la vidéo appelaient à tuer les Arabes, à les expulser… Je crois que cette vidéo a été tournée en Italie il y a quelque temps et l’homme était l’un des restaurateurs qui faisait l’imbécile. C’est un exemple de média qui a été utilisé à des fins politiques, sans contextualisation, sans que personne corrobore quoi que ce soit. Il n’est même plus utile d’exploiter des images authentiques, il suffit de diffuser des montages par l’intelligence artificielle et le tour est joué. Goebbels n’aurait plus grand-chose à faire aujourd’hui, il se frotterait les mains et serait ravi de voir à quel point désinformer est facile. Il lui suffirait de lancer une rumeur et des milliers de personnes, comme des moutons, la répèteraient sans vérifier sa véracité.

Le spectre d’Hitler représente, dans le livre, le danger du retour de l’extrême droite qui cherche un réceptacle, un nouveau corps, pour prospérer. Le seul moyen pour l’en empêcher, c’est de nommer le danger et de ne pas oublier. Dans la première partie du récit, le spectre prend possession brièvement du corps de Trump après avoir fait un saut dans le temps, dans un épisode un peu burlesque où on le voit se réveiller au son du rap de Kanye West. Pensez-vous que dans ce cas, la mémoire a fait défaut ? Et de manière plus générale, êtes-vous pessimiste sur l’état du monde ?

Oui, d’une certaine manière. J’ai écrit ce roman pour mettre en garde contre une situation qui pourrait apparaître de nouveau. Cela s’est déjà produit dans le passé, il n’y a pas de raisons pour que cela ne revienne pas. Je l’ai commencé en 2008 et il est publié en 2025 ; entre ces deux dates, la situation du monde a beaucoup évolué. Finalement, on pourrait dire que ce contre quoi je souhaitais mettre en garde s’est déjà produit. Il y a des coïncidences curieuses : dans le deuxième acte du roman, Hitler est enfermé dans son bunker, il tourne un film, complétement étranger à tout ce qu’il se passe autour de lui, alors que Berlin est détruite. Il poursuit un travail absurde, convaincu qu’il peut encore gagner la guerre. Eh bien on remarque la même chose de nos jours : Trump est enfermé dans son bunker, qui est la Maison Blanche, insensible à la douleur du monde qui l’entoure, il décide et le monde doit suivre ses desiderata. Poutine est lui aussi enfermé dans son bunker, qui est le Kremlin. Milei est dans le sien, la Casa Rosada. Netanyahu à la résidence présidentielle dans le quartier de Talbiya à Jérusalem. Chacun d’eux a son bunker. Et ils sont complètement insensibles à ce qui se passe réellement : ils provoquent de la souffrance en jouant à être puissants et à satisfaire leur ego. C’est le reflet de ce que faisait Hitler. L’illusion de ce dernier consistait à vouloir devenir ce qu’il ne pouvait pas être. Nous sommes dans la même situation aujourd’hui. Les dirigeants menacent de détruire le monde en provoquant une troisième guerre mondiale. C’est ici que se trouve la vraie menace maintenant. J’ose même dire que Doppelgänger est presque dépassé au moment où il est publié, l’Histoire est allée plus vite que lui et son avertissement arrive, malheureusement, un peu tard.

Estimez-vous que les ferments du nazisme sont en chacun de nous, à un stade dormant, et que ce dernier peut se réveiller à tout moment ?

C’est une bonne question dans le sens où nous, en tant que communauté, ne saurions pas du tout ce qu’il se passerait si, soudainement, un gouvernement d’extrême droite arrivait au pouvoir et mettait en place un programme aussi radical que celui d’Hitler. Comment réagirions-nous collectivement et individuellement ? Le philologue Viktor Klemperer a fait remarquer que les Allemands pouvaient être misérables en groupe, mais respectables individuellement. Donc la question est : que ferions-nous si cette situation se reproduisait ? Se résigner à vivre dans cette société horrible, comme le fit la grande majorité des Allemands ? Ou tenterions-nous de nous battre et de résister ? Il faut dire aussi qu’une bonne partie d’entre nous, poussés par l’égoïsme, fuiraient où ils pourraient pour sauver leur peau et désigneraient, si nécessaire, d’autres personnes pour rester sur place et se battre en leur nom. Il serait alors intéressant de voir si le nazi qui sommeille en chacun de nous se réveille et dans quelles conditions. Car nous avons tous malheureusement, enfoui plus ou moins profondément, un côté raciste, homophobe, machiste, etc. qui ne demande qu’à se réveiller.

Vous êtes espagnol. Vous écrivez, au détour d’une note de bas de page, que l’Espagne n’a pas pris suffisamment en compte les leçons de l’Histoire. En tout cas moins que l’Allemagne. Pour quelle raison ?

Le traumatisme de l’Allemagne est très distinct de celui vécu par les Espagnols sous Franco, même si ce dernier était un dictateur aussi horrible qu’Hitler. L’ampleur de leurs actes a été très différente. Les Allemands ont fait le choix de corriger, d’une certaine manière, les atrocités qui ont été commises en interdisant catégoriquement toute représentation de symboles nazis et tout ce qui pouvait s’y apparenter, sur les monuments, les mémoriaux… C’est une très bonne chose, ils savent qu’ils ne peuvent pas oublier ce qui a été perpétré mais ils mettent les choses sur la table et il semble qu’ils assument leurs responsabilités. En Espagne, au contraire, ce travail de prise de conscience a été très difficile. Il reste encore de nombreux morts, enterrés dans des fosses communes et qui n’ont pas trouvé de sépulture. Les partis de droite veulent supprimer la loi sur la mémoire historique[2], ils refusent qu’on parle de guerre civile, ils veulent tout simplement oublier cette période, faire comme si elle n’avait pas existé. Et c’est bien là le problème. Oublier une telle barbarie est le meilleur moyen de lui permettre de se produire de nouveau. Il y a même des manifestations qui sont organisées où les participants brandissent fièrement des drapeaux anticonstitutionnels de l’époque franquiste. On assiste au retour des franquistes, c’est de plus en plus flagrant, et ils s’exhibent en totale impunité. Comme si l’on acceptait cet état de fait, comme si l’on n’avait plus à se cacher, alors que cela est théoriquement interdit. S’ils n’éprouvent plus le besoin de se cacher, s’ils ne sont plus honteux, alors nous sommes mal partis. Il y a évidemment toujours eu des gens qui pensaient qu’on vivait mieux sous Franco, mais leurs opinions ne sortaient pas de chez eux. Maintenant, ils osent le dire et cela pourrait faire appel d’air. On voit la même chose au Portugal avec Salazar, ou en Italie avec Mussolini. Comme si nous avions le droit de réclamer le retour d’un dictateur qui a torturé, tué et commis des atrocités. Ils reprennent du poil de la bête et se sentent forts car personne n’ose s’opposer à eux. C’est en cela que le danger de l’extrême droite est plus fort que jamais.

Entretien mené en espagnol et traduit par Guillaume Narguet

 

Version originale

 

Gerard Guix: «Hitler era un ser humano como los demás y eso es lo que da miedo».

Doppelgänger. Este término designa a un personaje de la mitología germánica y escandinava, el doble, el gemelo malvado, el sosio que, al contrario que la imagen de Narciso, no tiene sombra ni reflejo en el espejo o en el agua. Es la figura inquietante, la del otro lado del decorado, de la dimensión paralela, idéntica en todos los aspectos al individuo al que corresponde por simetría inversa, a usted, a mí, salvo que comete el Mal (o el Bien, si usted mismo es un ser malvado). Popularizado por autores románticos alemanes como los hermanos Grimm y E.T.A. Hoffmann, pero también, más tarde, por Poe, Stevenson, Maupassant y hasta nuestros días en el cine (en Kiyoshi Kurosawa, Jordan Peele) y en series de televisión (Twin Peaks de David Lynch, Stranger Things…), el doppelgänger encuentra una nueva encarnación en la novela homónima (más de 700 páginas) del escritor catalán Gerard Guix sobre un monstruo, sin embargo muy humano: Adolf Hitler. En esta obra, mitad histórica, mitad fantástica, publicada por Les Forges de Vulcain y magistralmente traducida en francés por Carole Fillière, fruto de un impresionante trabajo de documentación de casi diez años, nuestro autor vuelve sobre los últimos días de Hitler, escondido en su búnker de Berlín mientras las bombas soviéticas caen sobre los restos del Tercer Reich. En ese refugio subterráneo donde reina el olor a muerte, podredumbre y descomposición, el cuerpo del Führer es repentinamente poseído por un espíritu oscuro e informe, el de… ¡Charlie Chaplin, su doppelgänger! Esta posesión tendrá consecuencias grotescas y patéticas, entre ellas el delirante deseo de Hitler de rodar una película en su honor mientras todo a su alrededor se derrumba. La narración, construida en tres actos como una ópera, lleva al lector desde abril de 1945 hasta 1978, siguiendo los pasos de un antiguo dignatario nazi que se dedica a manipulaciones ocultas y aterradoras… Tras el humor, lo absurdo y lo sobrenatural, esta reconstrucción histórica fantaseada de los últimos días del dictador más oscuro es también una advertencia contra el eterno peligro del retorno de la extrema derecha. À Rebours tiene el honor de publicar en exclusiva y en primicia, un mes antes de la salida a la venta de Doppelgänger en las librerías (el 29 de agosto), una entrevista con Gerard Guix, el hombre detrás de este hito literario que hará historia.

 

À Rebours: Ha pasado unos diez años trabajando en este libro y documentándose. Por lo tanto, ha hecho un trabajo de historiador. Aunque se trata de una novela, ¿cómo definiría esta obra? ¿Una novela histórica? ¿El «doppelgänger» de un libro de historia, su gemelo de ficción?

Gerard Guix: Efectivamente, tuve que consultar muchísima documentación. Le dediqué muchos años porque quería ser muy riguroso en la contextualización, el desarrollo y la explicación de la historia real. Pero, llegado un momento, era fundamental que la ficción prevaleciera sobre la verdad histórica. El aspecto documental debía quedar ahí para dar paso a la ficción y a la imaginación, ya que se trata de una novela y la trama debe tener prioridad sobre la parte puramente histórica. Fue especialmente complejo conciliar la ficción y la realidad de tal manera que toda la obra resultara verosímil, sin dejar de ser histórica y rigurosa. Sobre todo porque este periodo de la historia está especialmente bien documentado; cada semana se publican nuevos ensayos y libros históricos sobre la Segunda Guerra Mundial, el nazismo… y, al cabo de un tiempo, me dije: «Ya basta, ya he leído suficiente». Durante esos diez años, consulté todas las biografías de los personajes de ese periodo que pude encontrar y las interpreté y utilicé en mi beneficio. Cabe destacar que muchos supervivientes y protagonistas de ese periodo escribieron sus memorias, entre ellos dignatarios del régimen y personas anónimas, desde Albert Speer hasta el empleado más humilde. En este sentido, hay innumerables libros titulados «Yo era el peluquero de Hitler», «Yo era la secretaria de Hitler», «Yo era el chófer de Hitler», «Yo era el amigo de la infancia que veía a Hitler de vez en cuando», «Yo era el que desayunaba con Hitler», etc. Hay innumerables libros de este tipo, la mayoría oportunistas o poco rigurosos, pero aun así he intentado leerlos todos para tener una visión general.

¿Cómo se le ocurrió la idea de escribir una obra de ficción que relacionara a Hitler y Chaplin y estudiara sus puntos en común? Es cierto que pueden resultar inquietantes (su fecha de nacimiento muy cercana, su aspecto físico con el bigote…).

La idea me surgió en 2008, cuando leí en el periódico la similitud entre las fechas de nacimiento de ambos[3]. Me dije: «Vaya, qué interesante. Aquí hay algo que puedo investigar». Por supuesto, conocía El gran dictador, la película de Chaplin en la que imita y encarna a Hitler, pero entonces me di cuenta de que tenían la misma edad, era una coincidencia increíble. Fue el detonante que me llevó a explotar una veta que, en mi opinión, nadie había explotado todavía en la literatura. Así que el primer paso fue conseguir la autobiografía de Chaplin y la biografía de referencia de Hitler escrita por el historiador Ian Kershaw. Me di cuenta de que había muchos más puntos en común y paralelismos que la simple fecha de nacimiento y, en ese momento, pensé que realmente se podía sacar algo de esos elementos, que era posible, tal vez, construir una ficción a partir de ello. Así que empecé a investigar más a fondo, sin saber muy bien al principio adónde me llevaría. Había algo que explorar, pero aún no sabía qué. Luego, a medida que leía y escribía, empezó a esbozarse una historia que culminó cuando descubrí el robo del cadáver de Chaplin en 1978 por dos delincuentes que luego pidieron un rescate. Entonces pensé que era un giro crucial para mi novela y la especulación sobre la identidad y las motivaciones de esos dos hombres constituyó un elemento narrativo. Imaginé una explicación y a partir de ahí entró en escena todo el mecanismo del doppelgänger. Ni siquiera conocía esa palabra y apareció en una de mis lecturas sobre el tema. Ese doppelgänger era el eslabón perdido de mi trama y, al final, todo encajó de forma natural.

¿Cree que se sirvieron o se alimentaron mutuamente durante su vida? ¿Hasta el punto de influirse y contagiarse el uno al otro? En efecto, hay algo ridículo y teatral en la grandilocuencia del monstruo Hitler. Pero también hay una voluntad de compromiso político y seriedad en el payaso Charlot. ¿Monstruo y payaso serían, por tanto, dos facetas opuestas de una misma figura?

Exactamente. De hecho, y como anécdota, cuando Hitler empezó a darse a conocer, sintió la necesidad de identificarse con una figura popular para llegar al público. Al fijarse en el bigote de Chaplin, decidió hacerse uno similar. Cuando Chaplin lo vio, además de modificar su bigote pare que se pareciera menos al de Hitler, decidió hacer una película sobre él para ridiculizarlo y vengarse de ese «robo». Entonces se hicieron la vida imposible el uno al otro. Pero, aparte de este rasgo físico, había otros puntos en común que los unían, como las aspiraciones políticas de Chaplin y las pretensiones artísticas de Hitler. Uno se veía ejerciendo responsabilidades políticas y el otro, un pintor fracasado, ambicionaba transformar Berlín según su propia visión artística (el proyecto Germania que desarrolló con el arquitecto Albert Speer). Tuvieron infancias similares, padres alcohólicos los dos, gran apego a sus madres enfermas, los dos triunfaron en un país extranjero que luego los repudió… Esto los hizo bastante similares, sobre todo a partir del momento en que alcanzaron el éxito y triunfaron. Se pueden encontrar otros paralelismos, como el peinado. Recuerdo que, tras comenzar mi investigación en 2008, encontré un anuncio de la década de los años treinta, creo, recuperado en Internet, del sombrerero alemán Hut Weber. Se titulaba «Hitler vs. Chaplin» y mostraba las siluetas, una al lado de la otra, de Chaplin y Hitler, resaltando solo sus características principales, es decir, la raya al lado y el bigote en el caso de Hitler y, en el de Chaplin, el mismo bigote con un sombrero inclinado hacia el mismo lado. Debajo de la cabeza de Chaplin se leía: «¡Es el sombrero! ». Por lo tanto, solo el sombrero marcaba la diferencia. Con este esquema, se ponía de relieve la similitud de estilo entre ambos hombres. Así que no soy ni el primero ni el único que lo ha notado.

En su libro, tras un error en la carta astral ofrecida a Hitler por su (último) cumpleaños, usted imagina que este último está poseído por el espectro de Chaplin y que, mientras el Reich se derrumba y él se encuentra atrapado en su búnker, siente delirios de director de cine. El resultado de esta nueva manía será, por supuesto, grotesco. Con su perpetua puesta en escena y su teatralidad, ¿no es Hitler ya un personaje de cine, que se parece tanto al villano de una película como a un personaje de dibujos animados? ¿En el sentido de que ya es una parodia, la de Chaplin?

Esto es totalmente cierto en el caso de Hitler, pero yo lo extendería a todos los dictadores. Todos estos líderes, desde Hitler hasta Mussolini, pasando por Franco, Stalin, etc., desempeñan, en cierto sentido, un papel como actores que encarnan personajes de cine, y acaban convirtiéndose en caricaturas de sí mismos, casi cómicos a su pesar. Lo vemos también hoy en día: Trump se está convirtiendo en una caricatura de sí mismo, el personaje es en sí mismo ya grotesco, al igual que Putin o cualquier líder un poco excéntrico del mismo tipo. Con mi libro, quería conseguir no una parodia, sino una parodia de la parodia, en la que ya no se distingue a la persona real del personaje, en la que ya no se sabe si es Hitler quien se burla de sí mismo o si es auténtico. ¿Se trata de un juego? ¿De la realidad? Este tipo de personajes ofrecen todo un abanico de posibilidades, ya que son intrínsecamente teatrales, paródicos y acaban convirtiéndose ellos mismos en una broma. Pero lo más aterrador es que detrás de esa imagen patética y cómica, se esconde gente muy peligrosa. No nos debemos dejar engañar por las apariencias.

El doppelgänger es una figura folclórica germánica retomada por numerosos autores alemanes, especialmente durante el Romanticismo (Grimm, Hoffmann, etc.). También podemos pensar en El Horla, de Maupassant. ¿Le ha servido esta literatura de inspiración para elaborar su aterradora visión del espectro?

Por supuesto. Cuando decidí profundizar en este concepto del doble, empecé a explorar todas las referencias literarias sobre el tema (en José Saramago, Dostoievski, Thomas Mann…). Hay muchísimas y me pareció apasionante descubrir todos los dobles que se pueden encontrar en la literatura e incluirlos en la novela en forma de referencias o guiños. El doppelgänger del libro es, evidentemente, una construcción de mi imaginación, pero se basa en una concepción que aparece de forma recurrente en la historia de la literatura. En el imaginario colectivo, el doppelgänger es un gemelo malvado y cada uno tiene uno en algún lugar del mundo. Y, de forma muy subjetiva, consideramos por fuerza que nosotros somos el gemelo bueno y que nuestro doble es el malo. Para Hitler, su doble malvado es Chaplin, alguien que, sin embargo, no era malvado como él en la vida real. Así pues, vemos claramente que estos conceptos de bien y mal son muy relativos y dependen del punto de vista o la mirada de la persona. En la novela, el interés radicaba en insinuar que el malo podía ser Chaplin, ya que adoptamos el punto de vista de Hitler, y que este último podía ser el bueno. Ahí reside todo el interés de este juego.

Las últimas horas de Hitler y su decrepitud han sido objeto de numerosas obras de ficción, tanto literarias como cinematográficas, que usted enumera. En su opinión, ¿qué es lo que hace que la larga agonía del Tercer Reich sea tan novelesca o, en cualquier caso, tan propicia para la ficción? ¿Su carácter misterioso? ¿Trágico? ¿Patético? ¿Todo eso a la vez?

Yo diría que todo eso a la vez. Creo que la decadencia de lo que fue grande, incluso muy grande, como un imperio, es algo muy romántico y, por extensión, literario y cinematográfico. El colapso ofrece muchas posibilidades de representación artística. Ese momento en el que nos damos cuenta de que incluso los dioses pueden llegar a su ocaso es apasionante; ellos también acabarán desapareciendo. Es muy wagneriano, precisamente, la destrucción y la desaparición del bien. Y, evidentemente, Hitler, por lo que representaba, por todo el poder que concentró en sus manos (y no sé si esa concentración de poder en manos de un solo hombre ha tenido parangón en la historia), por la destrucción que provocó, es el summum. Es interesante ver que este hombre, rodeado de tanta gente, podría haber sido asesinado mil veces, pero nadie se atrevió a dar el paso. Había un aura monstruosa a su alrededor. Y, sin embargo, era un hombre, solo, humano. Recordemos la polémica que suscitó el estreno de la película El hundimiento, con Bruno Ganz: se acusó a la película de humanizar a Hitler, de mostrar su fragilidad. Sin embargo, la película no lo humanizaba especialmente, simplemente mostraba al hombre, al ser humano que era. No era una criatura salida de las cavernas. Esta es la lógica que retomo en Doppelgänger: pongo de relieve el hecho de que Hitler era un ser humano como los demás y eso es lo que da miedo, saber que es como nosotros, que un ser tan pequeño y frágil pudo tener todo ese poder. Si se tratara de un monstruo de varias cabezas, una especie de Hidra de Lerna, sin duda sería aterrador, pero también habría constituido una excusa muy práctica: «si actuó así, es porque era un monstruo, por lo tanto, es normal, todo se explica. Un hombre nunca habría podido hacer eso. Y un monstruo tiene poderes sobrenaturales, no podemos combatirlo, puede hacer lo que quiera, por eso pudo cometer todas esas atrocidades». Pero cuando se trata de un ser humano, entra en juego lo que se llama responsabilidad hacia los demás. ¿Por qué está Hitler ahí, en ese momento? ¿Cómo pudo provocar esas atrocidades? ¿Cómo pudo obtener tanto poder? Aquí es donde la reflexión cobra todo su interés. Y junto a este rey todopoderoso, se plantea también la cuestión de la gran locura colectiva de los alemanes que quisieron construir un mundo nuevo, un nuevo imperio, una nueva capital del mundo, Germania. Y, para terminar, este Reich que estaba destinado a durar mil años y que se derrumbó al cabo de doce es un excelente tema literario y cinematográfico, ya que es la historia de un colapso repentino, más rápido de lo previsto.

El escritor alemán Timur Vernes, en su libro Ha vuelto, ya abordó el tema del nazismo y Hitler mediante la sátira. Desde Chaplin sabemos que se puede reír de todo, especialmente del nazismo. ¿Se ha inspirado en este libro? ¿Cree que la risa puede ser una forma eficaz de luchar contra el totalitarismo? ¿Y un medio, como pensaba Chaplin, para preservar la razón?

Por supuesto, y hay muchos ejemplos. Usted ha citado algunos, pero yo también podría mencionar Ser o no ser, de Ernst Lubitsch, o Malditos bastardos, de Tarantino. La locura, el humor, la risa, la sátira te permiten tomar distancia de esos terribles acontecimientos, y Chaplin lo hacía muy bien. Esa distancia te permite evaluar la situación, ver lo que realmente está pasando. De hecho, si estás involucrado sentimental o emocionalmente, es muy difícil analizar las cosas con la objetividad necesaria. El humor nos permite, en primer lugar, evadirnos, salvarnos del horror, ya que, de lo contrario, la vida sería a veces demasiado insoportable. Pero la sátira por la sátira, la risa por la risa o el simple chiste absurdo no llevan muy lejos. Es necesario que cuestione al que comete el acto reprensible enfrentándole a su propia imagen. Es cierto que los dictadores no conocen el sentido del humor, lo dice Emil Ludwig en su fantástico ensayo Tres dictadores: Hitler, Mussolini et Staline. Es algo desconocido para ellos, y es precisamente ahí donde la sátira constituye un arma muy eficaz para devolverles la moneda, para denunciar, para poner de manifiesto sus defectos y debilidades. En esto, Chaplin era muy hábil. Aunque las situaciones más terribles, ridiculizadas, siguen siendo dramáticas, el filtro es diferente, permite analizarlas y, en este sentido, es vital y salvador.

Si la novela es satírica, la tragedia y el horror ocupan evidentemente un lugar importante, como acaba de mencionar. ¿Se puede decir que uno de los principales retos de una obra así era encontrar un cierto equilibrio entre estos diferentes registros? Así, las notas al pie de página, escritas por un personaje de la historia cuya identidad no revelaremos, recurren al humor escolar, a la autoironía, e incluso se dirigen al lector mediante un recurso de metaficción. Constituyen el contrapunto cómico del horror descrito en la historia.

Cuando pensaba en la estructura que adoptaría la novela, se me ocurrió la posibilidad de hacerla estéticamente similar a los libros de historia, que contienen numerosas notas al pie de página. Pero en ese caso, las notas son puramente informativas y, por regla general, la mayoría de la gente no las lee. Retomé en parte el mismo procedimiento que David Foster Wallace y sus innumerables notas a pie de página, que utilizó mucho, especialmente en La broma infinita. Era un juego muy importante para mí, pero estas notas tenían que contener algo más profundo que simples informaciones o precisiones. A través de ellas, empecé a dar forma a una segunda historia. Por supuesto, se pueden saltar, pero en ese caso se perdería la mitad de la información. El narrador de la novela se expresa a sí mismo en estas notas, cuenta una historia con humor y burla, un humor dirigido a alguien muy concreto. De hecho, hay mucho más en las notas que en la propia narración. Estos dos niveles de lectura son totalmente intencionados. Confío en mi trama, pero creo que incluir humor en las notas permite tomar distancia, reírse de una situación o de un personaje, hacer un comentario cínico, marcar una ruptura y luego volver a la continuidad de la historia. El peligro reside en que, al principio de la novela, el lector puede sentirse abrumado por la abundancia de información, pero una vez que entra en el juego y capta el lado divertido y peculiar de una nota, casi espera a la siguiente para ver adónde le lleva.

La narración se estructura en tres actos y un final, como una ópera, muy querida por Hitler, que era un gran admirador de Wagner. De hecho, la música, ya sea clásica o contemporánea cuando la narración da un salto en el tiempo, es un elemento que aparece a menudo, como un leitmotiv. ¿Por qué esta insistencia en el aspecto musical de la narración?

En general, en todas mis novelas me gusta mucho hacer referencia a la música, al cine, a otros libros. Creo que es muy importante no quedarse encerrado en la historia, sino abrirla a otras tramas similares que puedan enriquecerla. En el caso de Doppelgänger, mi intención era escribir una novela que reflejara un poco la visión global que se tiene de los nazis, que lo abarcara todo, en un reflejo totalitario. Por eso me pareció importante evocar la música contemporánea. Así, la novela comienza con una canción de Pet Shop Boys (The Dictator Decides) y termina con otra de Antony & the Johnsons. Pero también hay muchas referencias, en la quinta parte, que se desarrolla en 1977, a la nazisploitation, donde los accesorios y todo el atrezo nazi se convierten en objetos pop. Por eso era importante para mí mencionar todo eso, desde los inicios hasta la época actual. La última nota, por ejemplo, en la que descubrimos a quién se dirige el narrador, contiene una referencia a los libros de Roberto Bolaño sobre los nazis. Me parecía interesante abarcar todo eso. Y más concretamente la música, que desempeña un papel muy importante en mi vida; era obvio que tenía que reflejarlo. Desde el principio tuve la intención de estructurar esta novela en tres actos y cinco partes, como una ópera wagneriana. No solo porque a Hitler le gustaba Wagner, ¡sino también a Chaplin! ¡Otro punto en común! Además, también evoca el teatro. La novela es muy teatral, aunque densa y, en cierto modo, muy literaria, ya que la acción se desarrolla casi íntegramente en un único espacio cerrado (el búnker).

No hay un personaje principal, sino varios protagonistas, cada uno de los cuales desempeña un papel como en el teatro: los dignatarios nazis (cada uno de los cuales personifica un determinado carácter: la traición, la excentricidad, la astucia…) y los cuatro jóvenes ayudantes de Hitler (el telegrafista, el mayordomo, el chófer, el edecán miliar), que representan al pueblo que se dejó seducir por el nazismo. ¿Debemos ver a estos personajes como arquetipos? ¿Como símbolos?

Sí, y otra dificultad de la novela reside en la multiplicidad de personajes. De hecho, al leerla, nos damos cuenta de que se trata de una distribución muy teatral, en la que todos los personajes tienen su lugar asignado. En mi opinión, era fundamental mostrar que no hay realmente un protagonista, aunque Hitler pueda parecerlo a primera vista. Pero, en definitiva, no es más que un intermediario, que desaparece en mitad de la historia. Esto puede recordar a Psicosis, de Hitchcock, donde el protagonista muere y nos preguntamos: «¿Qué ha pasado? ¿Cómo puede desarrollarse la trama sin ella?». En el libro, nos hacemos la misma pregunta: «¿Y ahora qué va a pasar?». Cada parte, una tras otra, pone en primer plano a personajes que parecían secundarios en la parte anterior, es decir, su importancia fluctúa en intensidad. Por un lado, he descrito a los líderes nazis como estereotipos: cada uno tiene un funcionamiento y una motivación claros y bien definidos. Se convierten en entidades paródicas que evolucionan en el clima general de excentricidad y locura que reina en el búnker. Pero, por otro lado, los personajes que más me interesan (o los que tienen el mayor potencial dramático) son los cuatro jóvenes que acompañan a Hitler hasta el final, cuando todo se derrumba. Mientras los últimos fieles nazis huyen para salvar sus vidas, ellos se quedan para quemar el cadáver de Hitler. Me pareció muy impactante, por eso les dedico el tercer acto de la obra. Me parecía importante saber quiénes son, de dónde vienen, cómo han llegado hasta allí y en qué circunstancias mueren. En cierto modo, trazo su biografía. Me pareció crucial porque son personajes que, en mi opinión, definen al pueblo alemán de la época, ya que la pregunta que todo el mundo se hace es: ¿cómo hemos llegado a esto? ¿Por qué todo el mundo lo aceptó? ¿Por qué ayudaron y apoyaron a Hitler desde el principio? Estos cuatro chicos son parte de la respuesta: no tenían futuro, no tenían nada. Hitler era como un padre para ellos. Y por eso empezó todo, porque había miles y miles como ellos. Ese es el secreto y, al mismo tiempo, es también una información que permitiría evitar que esta situación se repita: si los jóvenes tienen un futuro, no habrá otro Hitler. Por eso estos cuatro personajes son el verdadero pilar de la novela.

Además del oído, su novela evoca otro sentido: el olfato. La novela recrea así el hedor omnipresente en el búnker del Führer (el aire viciado por la falta de ventilación, los olores corporales, etc.); luego, el olor de la muerte en el momento de la huida de los nazis ante el ejército ruso; y, por último, el olor del espectro de Hitler, en la última parte: el olor a putrefacción, a descomposición. A menudo se asocia el término «nauseabundo» o «rancio» con ideas de extrema derecha. ¿Tenía usted esta referencia en mente, tal vez para evocar el hedor de un régimen que no consigue ocultar?

Sí, exactamente. Cuando empecé a escribir, me di cuenta de que el olor, en un espacio cerrado como el búnker, debía ser un elemento omnipresente. Debía de ser terrible vivir allí, sabiendo que los baños estaban atascados. De hecho, esas personas vivían en un lugar donde el olor a podrido, excrementos o comida formaba parte del día a día, sabiendo que son olores difíciles de disipar y de olvidar. De hecho, ochenta años después este hedor persiste en nuestra sociedad y ha impregnado a diferentes partidos políticos tradicionalmente asociados con la extrema derecha: es el hedor de lo rancio, de lo retrógrado, de lo conservador que no conseguimos eliminar. En el libro, ese hedor impregna poco a poco el búnker, y la novela.  y se vuelve cada vez más desagradable. Aunque se ventilen las habitaciones y se abran las ventanas, ese olor sigue ahí, como el espíritu de Hitler, que sigue presente hoy. De hecho, es su recuerdo y su legado quien propaga ese olor, como una amenaza subyacente, persistente, recurrente.

El lector se pregunta a menudo sobre el grado de autenticidad y ficción en su obra. Si se toma algunas licencias poéticas, hay otros elementos cuya autenticidad es dudosa (como el reciclaje de los regalos a Hitler, que los invitados sacan de las reservas de años anteriores para ofrecérselos de nuevo). Su libro juega constantemente con esta confusión.

Creo que, como lector, hay que dejarse llevar por la historia y no analizar si tal o cual elemento es auténtico o inventado. Lo que usted considera falso es seguramente cierto, y viceversa. En este caso, la historia de los regalos que se ofrecían en el cumpleaños de Hitler reciclando las reservas de años anteriores es totalmente auténtica. Evidentemente, lo he contado de una manera que se asemeja a una escena de una película de los hermanos Marx, imaginando también las diferentes motivaciones de los personajes, pero el fondo de la historia es cierto y lo sabemos porque está muy bien documentado. El juego en la novela consistía en reinventar las razones que motivaban tal o cual acción. En otras palabras, si tal dignatario nazi se dirigió al búnker en abril de 1945, mantengo ese acontecimiento tal cual en la novela; si tal personaje muere en los últimos días de la guerra, también muere en mi novela; pero me permito modificar las razones que le llevan a dirigirse al búnker o las circunstancias en las que pierde la vida. Lo importante es que las acciones y el resultado sean idénticos, mientras que solo cambian las motivaciones. Por este motivo era necesaria una documentación tan exhaustiva para luego poderla manipular en pro de mi ficción.

Usted retoma precisamente los códigos y obsesiones del nazismo (sobre el ocultismo, la reencarnación, la transmigración, la ubicuidad, la astrología, etc.). En su opinión, ¿en qué medida estas creencias místicas y sobrenaturales influyeron no solo en el imaginario nazi, sino también en la forma en que los nazis ejercieron el poder?

Por supuesto, creo que el aura mística que rodeaba a Hitler desempeñó un papel muy importante. A un dictador con los pies en la tierra siempre le costará creer que todo el mundo le teme. En cambio, si está envuelto en un halo de misterio, por definición incontrolable e inaprensible, se instala la duda. Y es entonces cuando la gente puede sentir miedo. Es lo que les impedirá, tal vez, atacarlo, porque hay algo que roza casi la magia. Los atentados de los que fue objeto (y retomo este elemento en mi libro) fracasaron todos. Él jugó con eso, como si estuviera protegido por una especie de barrera mágica. Hay que decir que era un apasionado de la astrología, la magia negra y el ocultismo. Todo ello contribuyó también a crear esa especie de aura. En la novela, muestro una batalla entre las fuerzas oscuras, unas dirigidas por Churchill y otras por Hitler; ese es el motor de la novela, construida en torno al ocultismo y la forma en que se explotó en la conducción de esa guerra. Era otra forma de propaganda, paralela a la de Goebbels. Creyeran en ello o no, le dieron una nueva dimensión. Me interesó mucho esta forma de utilizar, ambos bandos, todos los medios a su alcance para sacar ventaja.

¿Cree que lo irracional juega un papel preponderante en el auge de la extrema derecha? Como la devoción irracional, incluso el amor, que sienten sus cuatro ayudantes por Hitler.

Creo sobre todo que el poder de la extrema derecha reside en su capacidad para aprovechar muy bien los momentos de crisis, independientemente de la sociedad en la que aparezca y evolucione. Siempre está ahí, al acecho, y cuando ve una fisura, se precipita hacia ella. También tiene otro poder: el de saber aglutinar. Todas las extremas derechas acaban formando un núcleo y a este núcleo le resulta más fácil penetrar en una brecha como un caballo de Troya. Su gran baza es el oportunismo.

Pero la extrema derecha juega con el miedo, que es irracional por definición.

Por supuesto, juega con el miedo a lo invisible, o bien se ensaña con los más débiles, a los que presenta como una amenaza y contra los que se erige en único baluarte. Aquí vuelve a aparecer la cuestión del oportunismo: se señala a un blanco fácil como responsable de todos los males, al igual que se hizo con los judíos en una época, se crea un miedo al que la gente se aferra y se presenta uno como salvador. Pero se trata solo de discursos vacíos, ya que ese miedo en el que se basan es una fantasía.

¿No es irónico que, tras la invasión de Ucrania por parte de Rusia, esta última lance la operación «doppelgänger», que consiste en crear falsos dobles de medios de comunicación occidentales que difunden el punto de vista de Rusia con fines propagandísticos, cuando Rusia acusa a Ucrania de estar en manos de neonazis? ¿Es Putin el heredero de Goebbels?

Es evidente que cualquiera que utilice la propaganda y la desinformación a tal nivel es inmediatamente tildado de heredero de Goebbels. Hoy en día, gracias a Internet, es mucho más fácil informarse bien a través de numerosos canales. Pero también es un arma de doble filo, ya que los medios de desinformación se han multiplicado, lo que induce a error a aún más personas. De hecho, cada vez es más fácil mentir, difundir información falsa, propagar rumores y crear doppelgängers de la información. Es una situación muy peligrosa. Citemos la inteligencia artificial, que preocupa mucho por los vídeos falsos que se generan y que hacen decir, por ejemplo, a los líderes políticos cualquier cosa. Cada vez es más difícil desmentir esta información falsa y restablecer la verdad. Estamos entrando en un periodo muy complejo y algunas personas saben muy bien cómo sacar partido de ello. Recientemente vi en Twitter un vídeo difundido desde una cuenta española en el que se veía a un hombre fumando en el púltipo de una iglesia gritando; según la información al pie era un árabe irrumpiendo en una iglesia en Francia insultando a los fieles y al cura. Pero al mirar bien las imágenes, se distinguía una iglesia que parecía estar en restauración, desierta, sin fieles ni cura. Y todos los comentarios debajo del vídeo pedían que se matara a los árabes, que se les expulsara… Creo que este vídeo fue grabado en Italia hace algún tiempo y el hombre era uno de los restauradores haciendo el tonto. Es un ejemplo de cómo se han utilizado los medios de comunicación con fines políticos, sin contextualización, sin que nadie corroborara nada. Ya ni siquiera es necesario utilizar imágenes auténticas, basta con difundir montajes creados por inteligencia artificial y listo. Goebbels no tendría mucho que hacer hoy en día, se frotaría las manos y estaría encantado de ver lo fácil que es desinformar. Él sólo tendría que lanzar un bulo y miles de personas, como borregos, lo replicarían sin comprobar su veracidad.

El espectro de Hitler representa, en el libro, el peligro del retorno de la extrema derecha, que busca un receptáculo, un nuevo cuerpo, para prosperar. La única forma de impedirlo es nombrar el peligro y no olvidar. En la primera parte de la historia, el espectro se apodera brevemente del cuerpo de Trump tras dar un salto en el tiempo, en un episodio un tanto burlesco en el que lo vemos despertar al son del rap de Kanye West. ¿Cree que en este caso ha fallado la memoria? Y, en términos más generales, ¿es pesimista sobre el estado del mundo?

Sí, en cierto modo. Escribí esta novela para advertir de una situación que podría volver a producirse. Ya ha ocurrido en el pasado, no hay razón para que no vuelva a ocurrir. La empecé en 2008 y se publica en 2025; entre esas dos fechas, la situación mundial ha cambiado mucho. Al final, se podría decir que aquello contra lo que quería advertir ya ha ocurrido. Hay coincidencias curiosas: en el segundo acto de la novela, Hitler está encerrado en su búnker, rodando una película, completamente ajeno a todo lo que ocurre a su alrededor, mientras Berlín es destruida. Continúa con una labor absurda, convencido de que aún puede ganar la guerra. Pues bien, hoy en día vemos lo mismo: Trump está encerrado en su búnker, que es la Casa Blanca, insensible al dolor del mundo que le rodea, decide y el mundo debe seguir sus deseos. Putin también está encerrado en su búnker, que es el Kremlin. Milei está en el suyo, la Casa Rosada. Netanyahu en La casa del presidente en el barrio de Talbiya en Jerusalén. Cada uno tiene su búnker. Y son completamente insensibles a lo que realmente está pasando: causan sufrimiento jugando a ser poderosos y satisfaciendo su ego. Es un reflejo de lo que hacía Hitler. La ilusión de este último consistía en querer convertirse en lo que no podía ser. Hoy nos encontramos en la misma situación. Los líderes amenazan con destruir el mundo provocando una tercera guerra mundial. Ahí es donde reside la verdadera amenaza ahora. Me atrevería incluso a decir que Doppelgänger está casi superado en el momento de su publicación, la historia le ha adelantado y su advertencia, lamentablemente, llega un poco tarde.

¿Considera que los gérmenes del nazismo están latentes en todos nosotros y que pueden despertar en cualquier momento?

Es una buena pregunta en el sentido de que, como comunidad, no sabemos qué pasaría si, de repente, un gobierno de extrema derecha llegara al poder e impusiera un programa tan radical como el de Hitler. ¿Cómo reaccionaríamos colectiva e individualmente? El filólogo Viktor Klemperer apuntó que los alemanes podían ser miserables en grupo, pero respetables por separado. Así que la pregunta es: ¿qué haríamos nosotros si se repitiera esta situación? ¿Nos resignaríamos a vivir en esta horrible sociedad como hicieron la gran mayoría de Alemanes? ¿O intentaríamos luchar y resistir? Hay que decir también que muchos de nosotros, empujados por el egoísmo, huiríamos a dónde pudiéramos para salvar el pellejo y, si fuera necesario, designaríamos a otras personas para que se quedaran y lucharan en nuestro nombre. Entonces sería interesante ver si el nazi que todos llevamos dentro se despierta y en qué condiciones. Porque todos tenemos, lamentablemente, enterrado a más o menos profundidad, un lado racista, homófobo, machista, etc., que está deseando despertar.

Usted es español. En una nota al pie de página, escribe que España no ha tenido suficientemente en cuenta las lecciones de la historia. En cualquier caso, menos que Alemania. ¿Por qué?

El trauma de Alemania es muy distinto al que vivieron los españoles bajo Franco, aunque este último fuera un dictador tan horrible como Hitler. Pero la magnitud de sus actos fue muy diferente. Los alemanes han optado por corregir, en cierta medida, las atrocidades cometidas, prohibiendo categóricamente toda representación de símbolos nazis y todo lo que pudiera parecerse a ellos en monumentos, memoriales… Es algo muy positivo, saben que no pueden olvidar lo que se ha perpetrado, pero ponen las cosas sobre la mesa y parece que asumen sus responsabilidades. En España, por el contrario, este trabajo de concienciación ha sido muy difícil. Todavía hay muchos muertos, enterrados en fosas comunes, que no han encontrado sepultura. Los partidos de derecha quieren derogar la ley de memoria histórica[4], se niegan a hablar de guerra civil, simplemente quieren olvidar ese periodo, hacer como si no hubiera existido. Y ahí está precisamente el problema. Olvidar semejante barbarie es la mejor manera de permitir que vuelva a ocurrir. Se organizan incluso manifestaciones en las que los participantes enarbolan con orgullo banderas anticonstitucionales de la época franquista. Asistimos al retorno de los franquistas, cada vez más flagrante, que se exhiben con total impunidad. Como si se aceptara este estado de cosas, como si ya no tuviéramos que escondernos, cuando en teoría está prohibido. Si ya no sienten la necesidad de esconderse, si ya no se avergüenzan, entonces vamos mal. Evidentemente, siempre ha habido gente que pensaba que se vivía mejor con Franco, pero sus opiniones no salían de sus casas. Ahora se atreven a decirlo y eso podría abrir una vía. Vemos lo mismo en Portugal con Salazar, o en Italia con Mussolini. Es como si tuviéramos derecho a reclamar el regreso de un dictador que torturó, mató y cometió atrocidades. Están recuperando fuerzas y se sienten fuertes porque nadie se atreve a oponerse a ellos. En eso radica el peligro de la extrema derecha, que es más fuerte que nunca.

[1] Chaplin est né le 16 avril 1889 et Hitler le 20 avril.

[2] Votée le 31 octobre 2007, elle a permis aux enfants et petits-enfants de républicains espagnols exilés d’acquérir la nationalité espagnole dont leurs parents ou grands-parents avaient été privés lorsqu’ils ont fui leur pays.

[3] Chaplin nació el 16 de abril de 1889 y Hitler, el 20 de abril.

[4] Aprobada el 31 de octubre de 2007, permitió a los hijos y nietos de republicanos españoles exiliados adquirir la nacionalidad española de la que sus padres o abuelos fueron privados cuando huyeron de su país.

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