Agnès Michaux : « J’ai tenu à montrer à quel point Huysmans était homme de son temps »

La revue À Rebours ne pouvait décemment pas passer à côté d’un entretien sur l’auteur dont l’un des ouvrages (et quel ouvrage !) a inspiré son titre. C’est une biographie monumentale, et désormais de référence, de près de 700 pages qu’Agnès Michaux consacre à Joris-Karl Huysmans, aux éditions du Cherche-Midi. Elle a d’ailleurs fait l’événement en cette dernière rentrée littéraire et vient, à ce titre, d’obtenir le prix Sade qui, parions-le, n’est que le premier d’une longue série. Rémy de Gourmont écrivait de lui : « Nul n’a jamais été doué d’un regard aussi aigu, aussi vrillant, aussi net, aussi adroit à s’insinuer jusque dans les replis des visages, des rosaces et des masques. Huysmans est un œil. » Écrivain trop négligé, qu’on réduit bien souvent au décadentisme fin-de-siècle, à l’occultisme, au vocabulaire baroque, et à deux chefs-d’œuvre, À Rebours et Là-bas, Huysmans est pourtant bien plus que cela : éminent représentant du naturalisme, habitué des soirées de Médan et ami de Zola, avant de s’en éloigner ; catholique converti et doloriste ; Parisien râleur et misogyne mais amoureux transi et paternel ; inventeur d’une langue « épastrouillante » et pas si « désuète » que cela ; témoin et acteur de son époque depuis son antre du 11 rue de Sèvres… l’homme Charles-Marie-Georges et l’auteur Joris-Karl sont doués de nombreuses facettes qu’À Rebours vous invite à (re)découvrir en compagnie d’Agnès Michaux.

Huysmans vivant - 1

À Rebours : C’est la première biographie que vous rédigez. Vous écrivez avoir rencontré Huysmans par hasard, en lisant un jour un exemplaire de Là-bas dans son édition originale. Qu’est-ce qui vous a séduite dans cet ouvrage, puis dans la vie de l’écrivain au point de lui consacrer cette vaste étude biographique ?  

Agnès Michaux : Pour être honnête, à l’époque (je devais avoir vingt-trois ans) pas grand-chose… Mon ignorance des sujets qui vivaient dans le livre m’a laissée sur le bas-côté de Là-bas. Je n’avais par exemple pas goûté comme il fallait l’attaque dirigée contre le naturalisme, car j’ignorais tout alors des rapports de Huysmans et Zola. Disons que ce n’était pas le moment, je n’étais pas prête à recevoir sa littérature. Mais c’était peut-être un signe, car pourquoi avais-je acheté ce livre ? Je croyais que c’était pour le joli papier ancien à la cuve… Aujourd’hui, j’y verrai le début de notre rencontre – une rencontre d’abord ratée pour mieux advenir par la suite… Trente ans plus tard, la rencontre a eu lieu. Dans La Fabrication des chiens, trilogie située entre 1889 et 1909 et qui précède Huysmans vivant, le héros fictif, jeune homme venu de Touraine, comme moi, et que j’installe rue du Dragon, où j’ai résidé, rencontre un autre habitant du quartier, un écrivain qui habite à deux pas de chez lui au 11 rue de Sèvres : Joris-Karl Huysmans. Encore une fois, je ne voyais là que le hasard de la documentation. J’en fais son ami et c’est à partir de là que je me renseigne de manière plus approfondie sur le romancier et que je commence à le lire véritablement. Huysmans m’a fascinée et j’ai vu en lui une sorte de doppelgänger de mon héros, de moi donc. Sa vision du monde m’intéresse, je la comprends, parfois je me sens proche de lui, parfois radicalement différente. Je ne partage pas son pessimisme radical, je ne crois pas que « seul le pire arrive ». Souvent, il m’a bien fait rire avec son pessimisme aussi vitupérant que récurrent.

© Nicolas Guilbert

Il faut dire qu’une telle biographie se faisait désirer puisqu’il n’y avait pas eu d’étude aussi poussée sur sa vie et son œuvre depuis les années 50 avec la biographie savante de l’anglais Robert Baldick, si l’on excepte l’ouvrage d’Alain Vircondelet en 1990. Il a fallu attendre Soumission de Houellebecq pour que l’attention se fixe de nouveau sur lui. Comment expliquez-vous ce désintérêt des chercheurs pour la figure de Huysmans, alors qu’À Rebours est largement passé à la postérité et qu’il existe une Société Huysmans ? Vous parlez même de lui comme d’un « second couteau » de la littérature.

Quand je dis « second couteau », ce n’est pas un avis ou un jugement que je porte sur lui, c’est une observation objective de la place qu’il occupe (ou n’occupe pas, en l’occurrence) dans les cursus scolaires, voire universitaires. C’est d’autant plus étonnant que, dans l’école française, le XIXe siècle tient une place prépondérante. Pourquoi n’y figure-t-il pas ? Peut-être à cause de la difficulté ou de l’obscénité des sujets qu’il aborde, de son écriture, de sa pensée. Clairement, ce n’est pas un auteur pour collégiens, à peine pour lycéens. Il faut posséder une connaissance assez « raffinée » des enjeux du XIXe siècle pour bien saisir son œuvre. Il reste donc un inconnu connu, c’est-à-dire que son nom dit vaguement quelque chose et que, dans le meilleur des cas, on l’associe à Là-bas ou À Rebours, sans les avoir lus. Après tout, c’était aussi mon cas. Mais mon ignorance a, je crois, « sauvé » le livre : j’allais découvrir mon sujet, le rencontrer véritablement, sans préjugés de spécialiste, sans avoir des réponses à des questions que je n’avais pas posées. J’allais m’étonner au sens le plus profond, le plus philosophique du terme. Je crois que cela se sent dans la forme, forme qui est fidèle au titre. La vie est là, parce que j’ai vécu ce livre. C’est pour cela que, malgré le sérieux de la documentation, je n’ai pas voulu de notes, ni de bas de page ni en fin de volume. Sans les notes vers lesquels il faut sans cesse se déplacer, l’expérience de la lecture est très différente. Puis, on peut donner toutes les infos dans le texte. Oui, l’étonnement de la pensée devant la documentation et la spontanéité de l’écriture, pour laquelle rien n’a été « calculée » mais qui a surgi en accord absolu avec le fond, voilà ce qui a forgé Huysmans vivant. Une expérience de vie et d’écriture d’une intensité folle, d’une abnégation folle. Quand j’ai eu le livre imprimé entre les mains et que je l’ai rapidement feuilleté, j’ai pensé : « Impossible ! » Je ne comprenais pas comment j’avais réussi en si peu de temps à « aller là », à donner ça. C’est une merveilleuse expérience dans ma vie d’écrivain, enfin, dans ma vie.     

Votre travail de recherche a-t-il bénéficié de l’exploitation de sources inédites ? Qu’apprend-on de nouveau sur la vie de Huysmans, qui semble a priori un peu terne, celle d’un fonctionnaire bourgeois misanthrope et râleur ?  

Je ne suis pas animée par la jouissance du scoop, mais j’ai l’excitation de l’enquête et, parfois, cela mène à de petites découvertes. J’adore consulter les annuaires de l’époque, qui sont de véritables trésors (j’avais déjà utilisé ce genre de documentation pour La Fabrication des chiens) et j’y ai découvert les noms des voisins de Huysmans. Cela change tout. Le 11 rue de Sèvres n’est plus une simple adresse, c’est un lieu de vie où se croisent des locataires, c’est Huysmans dans son quotidien qui apparaît. Soudain, je tombe sur le nom d’Olympe Chodźko, émigrée polonaise « la belle Olympe » qui faisait tourner la tête de George Sand, l’amie de Marie Dorval et de Flora Tristan. Mais s’il n’y avait que cela… Car le nom de famille, je l’avais déjà croisé, c’était celui de Victor Chodźko, répétiteur de droit chez qui le Huysmans jeune homme pas encore écrivain se préparait un avenir correspondant au désir de sa famille. Tout à coup, c’est tout une vie de voisinage qui apparaît. Maman Huysmans cherche un répétiteur de droit, elle en parle à sa voisine Olympe qui se trouve avoir un neveu prénommé Victor qui, justement… Voilà le genre de petite satisfaction que l’on éprouve comme biographe, des détails dont tout le monde se fout, mais qui finissent, les uns après les autres par ressusciter un monde. Parlant d’enquêtes, Huysmans lui-même ne cesse d’en mener : sur les bas-fonds de Paris, les quartiers déshérités, le catholicisme, le satanisme, le symbolisme, la peinture… Ce n’est pas un écrivain de l’imagination, c’est profondément un naturaliste dans la méthode, même au temps où la rupture avec Zola est consommée. Enfin, ce qui est formidable dans le fait d’enquêter sur le passé, c’est que cela fait remonter un Paris disparu… mais pas tant que cela : les églises sont restées et l’on peut encore très bien s’imaginer ce que Huysmans avait sous les yeux. Ainsi, on voit toujours des éléments de ferronnerie du magasin de bondieuseries qui se trouvait en face de chez lui et dont les Christ et les Vierges en plâtre ont cédé aujourd’hui la place à des montres Rolex…

Dans la forme, votre biographie est originale. Elle est organisée en trois parties, qui correspondent aux trois étapes, communément admises, de sa vie et que vous nommez le Fils (pour désigner le disciple du naturalisme), le Père (pour désigner le chef de file du décadentisme et du naturalisme spiritualiste) et le Saint-Esprit (pour définir le converti à la foi catholique). Vous donnez des titres de chansons de rock à chacun des chapitres constituant la deuxième partie, pour quelle raison ?

Joris-Karl Huysmans Granger. Huysmans a écrit : « Toutes les queues de siècle se ressemblent. » J’ai vécu un siècle après lui, un siècle qui a aussi eu ses années 60, 70 et 80. Alors dès le départ, dans la seconde partie, qui se déroule année par année, j’avais établi le principe du titre d’album de mon siècle qui correspond à l’année traitée. Cela fonctionnait très bien, avait du sens, ça m’a fait rire, c’était joyeux. Il ne faut jamais se priver de la moindre petite joie quand on travaille. Je me disais, sans en avoir envie, que je supprimerais ces titres dans la version finale. Puis non. La joie, c’est bien, et la fidélité à ce qui surgit du bon endroit de soi, c’est bien aussi. Heureusement, mes éditeurs ont compris la correspondance entre les jeunes gens modernes des années 1980 et ceux des années 1880, ces jeunes punks qui prenaient Hugo de haut, comme les autres crachaient sur les Beatles. C’est toujours la même histoire, prendre sa place en déboulonnant la génération d’avant…  Bref, c’est un livre avec bande-son et j’aime l’idée que les lecteurs auront l’envie d’écouter les albums dont j’ai fait des titres de chapitres. Quant aux trois parties, elles s’amusent d’être une prière de travers pour une vie qui l’est souvent aussi. Sinon, je me suis résolue à suivre la flèche du temps, c’est ainsi que va la vie, avec un peu de malice dans la première partie que j’ai écrite « à rebours », c’est-à-dire de la date où cette partie prend fin à la naissance de Huysmans. Non comme un clin d’œil, mais parce que l’enfance, je voulais qu’on y remonte comme on remonte un fleuve pour trouver sa source. Oui, c’est ça, l’enfance, un autre pays, un pays en soi, pas une partie de la vie. Et ce pays est le pays béni du biographe, le territoire où tout est inscrit, auquel l’adulte retournera, presque sans s’en rendre compte ou en en étant tellement conscient, en comprenant si absolument pourquoi. La cohérence de la vie de Huysmans apparaît de façon bouleversante dans son enfance. Et son enfance s’invite dans sa littérature. Le pays de l’enfance éclaire, précise et fait destin, je l’ai vu chez Huysmans, chez moi aussi.

Vous avez recours, sous forme de clin d’œil, au vocabulaire de Huysmans, qu’il s’agisse de l’argot (reviennent souvent, dans votre récit, le fameux « emmerder » et ses variantes : « emmerdatoire », etc.), des néologismes, dont il était coutumier ou des mots plus rares (comme « épastrouillant », « stercoraire »). Ce n’est peut-être pas seulement une biographie, on peut le lire aussi comme un roman de vie et on vous sent d’ailleurs toujours présente, comme si vous dialoguiez avec lui.

Mais il est normal de dialoguer quand on vit avec quelqu’un, et j’ai vécu avec lui. Alors, comme dans la vie de couple où l’on finit par adopter le vocabulaire de l’autre, j’ai mis ses mots dans mes phrases et dans mes phrases, son rythme et sa façon. Pour qu’on soit dans ce XIXe où Huysmans respire, mais pas seulement par l’œil, par l’oreille, par le nez, par la peau. Comme dans le roman, la vie n’est là que si le corps est là, et donc les sens. Encore une fois, c’était sans calcul, c’était ce qui se passait à force de proximité, c’était la joie d’un vocabulaire différent, d’un argot qui a même fait résurgence chez les jeunes d’aujourd’hui. Savent-ils en disant « daron » ou « daronne » qu’ils utilisent de l’argot du XIXe siècle ? Ah, le plaisir de ces mots d’argot de l’époque de Huysmans ! « Golgother », « épastrouiller », « emmerdatoire »… Huysmans a merveilleusement placé toutes les langues, celle des salons, celles des ruisseaux, celle des confessionnaux, dans l’éternité de la littérature.  Là aussi, je me sens proche. J’aime bien dire que le monde a besoin de tous les mots, je crois profondément à cela. Huysmans, qui n’en avait jamais assez, en inventait, en maître du néologisme. Ainsi, il a inventé l’adjectif « désuet », qui n’existait pas. Je parlais avec l’enfance, d’un autre pays. Mais, pour ceux qui n’ont jamais lu Huysmans, quelle chance ils ont d’avoir encore à découvrir ce pays de sa langue !

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La Vie Fin de Siècle, supplément hors-série de 1899 du journal Fin de Siècle (couverture de Carl-Hap).

Nous avons évoqué les trois parties de l’ouvrage, mais elles sont toutes reliées par un fil conducteur, qui est l’importance cruciale accordée par Huysmans au corps. En effet, il est tiraillé, durant toute sa vie, par des considérations liées à la nourriture, à la maladie, à la sexualité. Il y a d’un côté le corps qu’il faut remplir et de l’autre celui qui expulse. Le corps est aussi meurtri, notamment après sa conversion, quand il se rend au couvert des moines trappistes pour y faire une retraite mystique, lui qui aime pourtant le confort. Pourquoi une telle attention, chez lui, portée au corps ?

L’écrivain est aussi un corps, c’est notre nature à tous, d’être un esprit qui habite dans un corps ou un corps qui abrite un esprit. Lui, il a le corps du souffreteux, de l’angoissé à problèmes digestifs, à névralgies. C’est une forme de son rapport au monde, avoir l’estomac délicat, souffrir de maux de tête – finalement des pathologies qui conduisent à se replier sur soi au sens tout à fait concret du terme. Ce n’est pas un athlète en pleine santé, un type pris dans un corps à corps musclé avec la vie. Non, c’est, dans la tête et le corps de Huysmans, le perpétuel emmerdement, la perpétuelle petite inquiétude qui se fait angoisse terrifiante, le perpétuel petit mal d’estomac qui fait basculer l’humeur et disparaître le ciel bleu. C’est la sexualité perverse aussi, prise dans un morbide très Baudelaire, très fin de siècle, qui exulte par le nez, dans la dégoûtante volupté des odeurs. Converti au catholicisme, il ira, tout naturellement serait-on tenté de dire, vers le dolorisme, se passionnant pour des saintes affligées d’épreuves corporelles ignobles, comme sainte Lydwine à qui il consacrera une hagiographie à sa façon.

Justement, avant de se consacrer aux nourritures de l’esprit, il est d’abord l’écrivain des sens, de ce qui est le plus directement matériel, à savoir notamment l’odeur, pour vous citer : « La puanteur où l’écrivain plonge, se baigne avec une délectation qui a ses raisons incontrôlables et ses mauvaises raisons. […] Ce règne de l’odeur confine déjà à l’écœurement. Odeur des corps, odeur de la sexualité. Pornographie de l’odeur. » Que signifie cette obsession de l’odeur (celle des femmes, celle du peuple, celle de la misère, celle de l’encens, celle de la frangipane et de l’opopanax…), qui l’a suivi tout au long de sa vie, dès les Sœurs Vatard (« Où que l’on renifle, la vie pue, comme si le monde révélait sa vraie nature dans l’odeur ») jusqu’à Sainte Lydwyne (« D’ici au martyre purulent de sainte Lydwyne, Huysmans n’en sortira pas ») ?

Qu’est-ce qui règne dans l’odeur, quand elle est mauvaise (ce qu’elle est en général) ? Le mal, la corruption, ce qui est lié au bas-ventre, à la mort. La matière en nous, qui est donc le corps, est soumise au mal. Il en est déjà conscient quand il est naturaliste et athée. Et il va finir par le pénétrer de plus en plus profondément de livre en livre. C’est l’odeur d’aisselles et d’entrecuisses des femmes dans Les Sœurs Vatard, c’est l’odeur a priori exquise de frangipane qui finit par rendre malade des Esseintes dans À Rebours… Huysmans s’amuse à corrompre le sublime. Il le fait aussi dans Similitudes où, après des pages décrivant des odeurs avec force vocabulaire sophistiqué, la fin dévoile que le nez du narrateur endormi est collé à l’anus de son chat… Comme tous les grands pessimistes, Huysmans a le sens de l’humour – noir.

Avec le corps et le parfum, il y a aussi le mouvement, comme troisième partie de cette trinité que vous identifiez. De ce point de vue-là, Huysmans est contradictoire : il aime son confort et rester chez lui, mais n’hésite pas à bouger, déménager, voyager (en Allemagne, à Ligugé…).  

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Exposition universelle de Paris, 1889

C’est l’angoissé dans toute sa splendeur, qui veut et préfèrerait ne pas. Il veut voyager, mais se rend malade à la simple idée de devoir prendre le train. C’est un casanier, un profil d’anorexique, qui organise tout, « pèse » tout dans sa vie quotidienne pour ne pas s’effondrer, sans doute. Le moindre changement dans la routine et ce sont les emmerdements qui pointent, l’estomac et les intestins qui s’affolent. Mais les voyages lui permettent de contempler la peinture qui va nourrir son œuvre, ainsi le Retable d’Issenheim de Grünewald, qui l’a si profondément bouleversé et qui l’amènera à l’idée, à l’évidence de ce qu’il fait et veut faire, du naturalisme mystique. Ce qui est frappant, c’est que lorsque sa vie « nomadise », elle part peu à peu à vau-l’eau. Cela débute quand il quitte pour toujours l’adresse où il a vécu presque toute sa vie, le 11 rue de Sèvres, pour tenter la vie d’oblat à Ligugé, dans le Poitou. À partir de là, c’est l’errance, d’adresse en adresse, jusqu’à la rue Saint-Placide où il mourra. Il a perdu son point fixe, son centre de gravité. Il faudra quitter Ligugé, pas seulement parce que la loi sur les congrégations chasse les moines, mais aussi parce qu’en indécrottable Parisien, la campagne l’emmerde, les péquenots l’emmerdent, le chant des oiseaux l’emmerde. Et c’est presque miracle qu’il supporte, de là, une vie de constant déménagement, si opposée à son caractère casanier et routinier.

Il est pétri d’autres contradictions : fustigeant le mode de vie bourgeois, il est pourtant un fonctionnaire… au mode de vie bourgeois ; il exècre la modernité et méprise le progrès, les expositions universelles, l’américanisation, les transformations de Paris, et pourtant c’est, comme vous l’écrivez, « un homme de son temps », qui accumule les bibelots et japonaiseries, qui épousera aussi les courants littéraires successifs de son époque, du naturalisme au décadentisme et au spiritualisme, même s’il n’est pas un homme de systèmes. C’est l’homme qui ne veut pas être de son temps mais qui l’est malgré lui.

Retable d'Issenheim
Matthias Grünewald, Retable d’Issenheim, 1512-1516

Je tenais beaucoup à montrer à quel point il est homme de son temps. Il peut se targuer d’avoir un goût qu’on peut qualifier de réactionnaire en allant vite, mais il est finalement un Français lambda qui se rend, certes, à l’Exposition universelle en râlant, mais se réjouit vite des nombreuses attractions exposées, de quelques bons restaurants… Puis, il a beau exécrer les progrès de son temps, il aime son confort, une notion apparue justement à la fin du XIXe siècle. Un type qui dit qu’il n’y a rien à espérer d’une société qui vend des sauces en boîte, mais qui ne serait pas contre le chauffage central plutôt que d’avoir, devant sa cheminée, les pieds brûlants et le dos glacé. Il aurait peut-être réussi à résoudre cette contradiction dans une quatrième partie de sa vie, mais celle-ci n’a pas eu lieu à cause de la maladie qui l’a fauché. S’il avait vécu plus longtemps, il aurait saisi, en pleine conscience, la façon dont matérialisme et spiritualisme peuvent, s’ils avancent sans se lâcher la main, forger le seul véritable avenir pour l’humanité. C’est ce que j’ai cru sentir à la fin de vie, au moment où il entreprend d’écrire Les Foules de Lourdes, en écho, vengeur ou amical (ce n’est pas si simple) au Lourdes de Zola. Il m’a semblé qu’il y avait là un regret jamais comblé, le regret de Zola, le regret de ne pas avoir cheminé main dans la main, de pas avoir ouvert l’ancien camarade à l’invisible, à ces endroits où même la plus formidable science reste muette. L’endroit d’une littérature enfin complète, qui embrasse le tout du monde. Il avait saisi qu’un monde entièrement soumis au progrès scientifique abîmerait irrémédiablement l’idée d’Homme. Et voilà que nous en sommes à l’intelligence artificielle… Il serait dévasté. Huysmans n’est pas un réactionnaire bêta qui pense que « c’était mieux avant », il voit le danger d’une science et d’une technologie qui vont plus vite que la morale et l’esprit humain, ce qui nous empêche d’en rester maître et fait de nous des enfants perdus ravis de leurs beaux joujoux dangereux.

Vous montrez que Huysmans se met tout entier dans ses livres : il est autant Folentin, le petit fonctionnaire célibataire, que des Esseintes, le collectionneur esthète angoissé, et Durtal, personnage de quatre romans, de Là-bas à l’Oblat. Ces personnages ont pour particularité d’être des anti-héros, voire des non-héros, dans des romans sans intrigue. Huysmans semble se dédoubler, entre lui-même et ses personnages fictifs, mais aussi entre l’homme et l’auteur. Ainsi, Joris-Karl se délecte des malheurs de Georges [son véritable prénom], comme s’il y avait le poète et son double : « Georges peut bien jouer au papa gâteau avec Tonine, Joris-Karl, lui, se délecte de la chute de la maison Saint-Phalle », référence bien sûr à la maison Usher de Poe. Alors, docteur Georges et mister Joris ?

« Papa Georges » est un homme qui a été très responsable avec Anna Meunier, sa compagne, et qui a été un véritable père pour les enfants de cette dernière. Un père responsable ne laisse pas apparaître son pessimisme devant les enfants. Mais le mauvais esprit de Georges, celui qu’il met à l’œuvre quand il devient Joris-Karl, va s’amuser ou se flageller à mettre du tragique partout, de l’inquiétant partout, de l’emmerdant partout. Cependant, il n’y a pas de frontière nette, il est ainsi fait et sa littérature lui ressemble. « Personne plus que moi ne s’est mis dans ses livres », a-t-il dit à la fin de sa vie, et c’est vrai, au point qu’un biographe trouve aussi sa documentation dans ses livres. Encore une fois, Huysmans est un homme comme tout le monde : un étrange animal doué d’esprit, condamné à cette tragédie qu’est la vie et à lutter sans relâche contre le mal en lui. Mais lui, ce combat, il l’écrit.

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Aubrey Beardsley, Abbé Fanfreluche (Under The Hill), publié dans The Savoy, n °1, 1896

Il réside durant un été au château de Lourps, où est né son personnage de des Esseintes. Il y a là confusion entre vie réelle et fictive. Peut-on dire dès lors qu’il a vécu dans son roman ?

On pourrait, mais, encore une fois, il me semble qu’un être dont la nature profonde est d’écrire, est le mot, la phrase, le Verbe, ne vit pas sa littérature comme un truc, une fabrication, mais comme le mouvement global et englobant de toute sa vie. Il me semble que c’est le cas de Huysmans. La vie est littérature et la littérature est vie. C’est assez simple au fond, même si cela peut paraître singulier. Dit autrement, l’homme est l’œuvre et l’œuvre est l’homme. Et quand il « rencontre » Lourps, il est sans doute ravi de la cohérence de son existence – qui est une forme de logique en considérant ce que je viens de dire. Et Lourps s’accorde ensuite à un autre mouvement de sa vie, et il écrit En Rade. C’est vraiment formidable, En rade, l’histoire d’un couple qui, là où il croit avoir trouvé la rade, l’abri, est finalement au cœur de ce qui va tout déliter, abîmer, détruire.

Évoquons À Rebours, qui est la pierre angulaire de son œuvre, celle qui rompt (en apparence) avec le naturalisme. Il écrit ainsi : « L’imagination lui semblait pouvoir aisément suppléer à la vulgaire réalité des faits. » Il annonce peut-être déjà la conversion. Il y a un avant et un après À Rebours. C’est pourtant un roman que Huysmans a voulu oublier et qui n’a pas rencontré le succès espéré, loin de celui d’En Route. C’est aussi celui par lequel on connaît Huysmans de nos jours. Comment expliquez-vous l’attrait que représente cet ouvrage ?

Huysmans est un pessimiste, non un nihiliste. Il n’est pas non plus le chef de file du décadentisme, qu’il considère presque comme obsolète de naissance. Certes, son roman À Rebours l’a initié, mais tout n’était-il pas dit ? Je crois qu’en tout cas, pour lui, il fallait autre chose. Au fond, ce qu’il cherche, comme Rimbaud, c’est à être absolument moderne, au sens de « nouveau ». C’est un chercheur de forme. Mais rien à faire, À Rebours qui, sans s’être bien vendu, fut une révolution pour ses jeunes lecteurs, reste dans les mémoires, s’impose, donne la note d’un certain parfum vénéneux de la fin de siècle, comme Baudelaire avec ses Fleurs du mal… Et finalement, ce livre, souvent, on le lit mal, on s’y laisse aller à ses mauvais penchants et là où Huysmans se moque, nous prenons les choses au sérieux. Sans doute le goût souvent complaisant qu’on a pour À Rebours est-il le signe d’une humanité qui va mal. Huysmans a cherché comment aller mieux, il n’a trouvé que la religion. Et il ne s’est jamais complu dans une forme, en expérimentateur infatigable, qui sait, même s’il y trouve un « confort », que les machins façon Jean Lorrain sont sans issue. Il comprend même que le roman est mort, ce qu’il écrit à la fin de sa vie n’en est plus, au sens où l’entendait son époque, sans qu’on puisse vraiment dire de quoi il s’agit. Alors, pour lui, À Rebours, clôt un chapitre et il faut passer à autre chose.

Ne peut-on pas dire justement que Huysmans a été réduit au décadentisme, voire à l’occultisme et au mysticisme ? Quand on pense à lui, c’est le nom de des Esseintes qui vient à l’esprit en premier lieu, et non Marthe ou Sainte Lydwine. On peut affirmer également qu’il a vécu la décadence dans sa vie personnelle, comme s’il y était prédestiné. Vous montrez ainsi que, dans sa famille paternelle, « l’art va s’amenuisant, il se fonctionnarise », et les peintres exposés au Louvre disparaissent au profit des professeurs, son oncle ou des illustrateurs ratés, son père. Comme si cet étiolement du talent artistique préfigurait la décadence du siècle.

Même dans la postérité, il aura connu des emmerdements ! Mais il faut regarder les choses avec enthousiasme : Huysmans est un pays à explorer pour les lecteurs d’aujourd’hui. Il est rare, tout de même, d’ouvrir un livre et de tomber sur un pays inconnu. On s’emmerde souvent, c’est la petite routine… Ceux qui n’ont jamais lu Huysmans ne savent pas la chance qu’ils ont d’avoir cet écrivain à découvrir ! Et tout est disponible, il n’y a plus qu’à. Quant à son père, oui, c’est le triste symbole de ce qui a été et n’est plus. Celui-ci avait sans doute cru réussir davantage. Il est mort dans la dèche quand Huysmans avait huit ans. Les artistes dans la dèche, Huysmans en aura connu beaucoup – Villiers de l’Isle-Adam, Verlaine, Bloy…. C’est pour cela qu’il tenait tant à son poste de fonctionnaire de la Sûreté générale, même s’il en disait le plus grand mal. Ce salaire mensuel, pendant presque quarante ans, lui a permis d’écrire et de manger.

Même ses livres catholiques divisent, surtout les catholiques, dans la lignée de ses précédents livres. « Eh zut ! Quelle salade d’avis », dit-il au sujet des réactions que suscite la publication d’En Rade. Huysmans est-il un éternel incompris ?

Première séance de l'Académie des Goncourt
Première séance de l’Académie des Goncourt, en 1903. De gauche à droite, assis : Rosny aîné, Huysmans et Léon Hennique. Debout : Élémir Bourges, Rosny jeune, Gustave Geffroy, Lucien Descaves et Léon Daudet.

C’est le destin de l’écrivain dupe de rien, donc quand il devient catholique, il ne perd pas son esprit critique, et cela n’est pas du goût de toutes les ouailles et de tous les gens d’église. Sinon, je dirais que son mauvais sort, c’est d’être l’écrivain qu’on croit « récupérable ». Mais il ne donne jamais entière satisfaction à ceux qui le croient dans leur camp. Toujours, il échappe, plus subtil, plus vaste, plus complexe. Difficultueux.

Huysmans est aussi, comme vous l’écrivez, l’homme des ruptures, au point où vous vous demandez s’il a du cœur : ruptures amoureuses, amicales (avec le naturaliste Zola, avec le catholique Bloy), intellectuelles (il rompt avec le naturalisme, le décadentisme, l’occultisme…). Vous montrez pourtant qu’il a su rester fidèle, par exemple à sa maîtresse Anna qu’il accompagne alors qu’elle sombre dans la folie, ou aux chats qui sont l’amour de sa vie. Là encore se situe la contradiction du personnage. En cela, il est bien un homme du XIXe siècle, siècle des contrastes, « siècle des putes et de la Vierge, de la syphilis et des apparitions », pour vous citer. Tout Huysmans se trouve là.

La question « a-t-il du cœur ? » est légitime. Je la pose en toute fraternité. L’homme est vachard, méchant même, mais pas seulement. Parfois, il semble agir davantage par droiture que par tendresse, et il est capable de dire les pires insanités sur ses plus fidèles compagnons. Ce qu’il inflige à son fidèle Lucien Descaves est terrible. Il avoue ainsi à l’abbé Mugnier, après un dîner chez Descaves : « Quand je songe à cette femme avec laquelle Descaves va copuler, le soir, je trouve qu’il est plus agréable d’entendre les complies et d’aller se coucher tout seul. » Descaves n’aura connaissance de cette « gentillesse » que longtemps après la mort de Huysmans et il n’en sera pas réjoui. Qui le serait ? Pourtant, Descaves reste un fidèle parmi les fidèles.  La complexité est toujours au cœur des êtres et de ce qui les lie.

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Charles Hermans, À l’aube, 1875

Son rapport avec les femmes semble en apparence assez simple : d’un caractère misogyne et célibataire endurci, il cherchait des femmes qui puissent s’occuper une fois par semaine de son foyer et ses besoins, en obéissant à l’ordonnancement de sa vie très réglée, tout en fréquentant les filles de joie. Mais d’un autre côté, vous montrez qu’il a regretté par deux fois d’avoir manqué le coche avec deux femmes (Edith l’anglaise et Zdenka la tchèque) qui auraient pu être ses compagnes et il semble, à la fin de sa vie, se réconcilier avec l’idée du mariage. Sa conception des femmes n’était-il pas plus complexe qu’il n’y paraît ?  

Ces deux femmes sont des types particuliers de femme pour le XIXe siècle : elles sont instruites et artistes. Edith vient d’une famille qui compte également une romancière, elle s’occupe d’une revue, c’est une intellectuelle avant l’heure. Donc une égale. Zdenka, elle, est peintre ; elle n’est pas bête, mais elle a un cœur d’artichaut et court deux lièvres à la fois. Il a affaire à des femmes avec lesquelles il peut, pour aller vite, avoir une conversation. Avec Anna, sa femme, les choses sont différentes. Elle était couturière, sans doute peu instruite. Cependant, il a été avec elle un amoureux transi, au moins au début. Elle était jolie Anna, plus jolie, d’après les photos, que Zdenka (je n’ai pas trouvé de photo d’Édith, mais sa sœur était plutôt très belle). À ses débuts, il écrit un poème sur un après-midi avec Anna à Chaville et c’est d’une tendresse amoureuse qu’on lui connaît peu. Mais je ne dis pas que Huysmans n’était pas misogyne, il l’était et avec l’intensité de l’époque ! Seulement, les hommes s’étaient fabriqué des femmes sans intérêt en leur refusant tout ce qui fait grandir ou s’épanouir. Cantonnées à un rôle de potiche ou de boniche, comment auraient-elles suscité l’intérêt ? C’est un cercle vicieux. Reste qu’on trouve chez Huysmans de beaux portraits de femmes, d’ouvrières, et un regard méchamment critique sur le comportement des hommes mariés.

Nous avons évoqué son humour. On pense ainsi à son humour de répétition : tous les ans, il envoie une carte de vœux à son ami hollandais Prins dans laquelle il se lamente sur son sort et celui du monde qui part à vau-l’eau : « 1893, le beau centenaire ! 1793, c’était du sang, 1893 c’est de la merde ! ». Le téléphone est pour lui une invention diabolique qui perturbe sa tranquillité dans son bureau du ministère. La vie semble aussi se moquer de lui : il est décoré de la Légion d’honneur non pour sa littérature mais pour ses vingt-sept ans de services au ministère de l’Intérieur ; quand il est provoqué en duel, cela tourne court car son opposant s’est « décroché un testicule » et vous précisez : « Huysmans sauvé par une couille », dans une tournure de phrase huysmansienne.  

On ne comprend pas tout à fait Huysmans si on ne voit pas l’humour dans son œuvre. À Rebours est plein d’humour : on voit se débattre un type qui prétend partir en voyage à Londres alors qu’on sait très bien qu’il n’y arrivera jamais. La cruauté littéraire de Huysmans est d’un comique qui confine au grotesque, je pense à la description des statues des reines de France du jardin du Luxembourg dans En Ménage. Puis il y a l’humour terrible, l’humour noir, je pense à ces pages finalement poignantes qui décrivent la vie au pensionnat. Là, c’est presque Mort à crédit.

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Dornac, Joris-Karl Huysmans

Vous terminez le livre sur un constat d’échec : impuissance de l’oblature, impuissance sexuelle, sans postérité autre que ses livres. A-t-il été au bout de son objectif, qui était de concilier matérialisme et spiritualisme ? On en vient à se demander également si sa conversion a été sincère ou si cela n’a servi que sa littérature. Comme vous l’écrivez en fin d’ouvrage : « À chacune des extases de sainte Lydwine, le passage du divin se signale dans l’enivrement parfumé, quasi érotique, qui exhale de ses plaies. Mais lui souffre, pourrit, suppure sans le relent exquis. » Il reste désespérément à terre, sans possibilité de s’élever, et termine sa vie dans l’anticléricalisme, en fustigeant la bêtise des catholiques. Il y a un mystère Huysmans.

On peut considérer qu’une vie interrompue par la maladie est une bien grande injustice. Malgré tout, cette maladie lui offre une réussite, celle d’incarner dans la réalité sa sainte Lydwine. Comme avec En Rade, le livre a été le pressentiment de la vie. Puis la maladie lui a donné une chance de rédemption (de son point de vue). Obligé de faire l’expérience de la plus grande douleur dans le cancer de la bouche qui l’a terrassé, et l’affrontant vraiment héroïquement, en refusant la morphine. Cohérence encore de l’homme et de l’œuvre. Que Léon Bloy doute de la réalité de sa conversion me paraît normal, au vu de la qualité de leurs rapports sur la fin. Mais là où ce dernier n’a pas tort, sans avoir tout à fait raison, c’est que s’il nie que cette conversion soit réelle, c’est parce qu’il considère qu’elle n’est qu’esthétique. Certes, Dieu et le catholicisme apportent à Huysmans une extension du domaine de sa littérature, ils sont une ressource pour l’écrivain. Malgré tout, sa littérature et sa vie se confondant, on ne peut tout à fait lui nier la réalité de sa conversion. Quant au mystère… Il y a un mystère de l’être, c’est ainsi, et c’est presque le sujet de toute la littérature.

Et la sincérité de sa conversion se voit aussi dans ses pleurs finalement.

Oui, à partir de la conversion, il pleure. Le don des larmes. Le cœur qui lui revient et qui donc n’était pas tout à fait mort. Je redoutais tellement le moment d’écrire la maladie et l’agonie. Le biographe est un fouineur, un voyeur, il met au jour les secrets. Ce n’est pas une position qu’on peut prendre à la légère. Cela exige de la responsabilité et de l’humanité. Je l’ai vu nu, mais, d’une certaine façon, lui aussi m’a vue nue. Je pense que c’est dans cette position d’égalité que la chose était possible. Donnant donnant. La promesse, ce n’était ni le panégyrique, ni le réquisitoire. C’était la résurrection. J’espère la lui avoir accordée, j’espère qu’en me lisant, il s’incarne et qu’on le sent près de soi. J’espère bien sûr que mon livre amènera de nouveaux lecteurs vers son œuvre. Quand les écrivains sont lus, ils sont toujours vivants.

 

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